Blaise Cendrars, écrivain - aventurier et poète de la main gauche
Blaise Cendrars, un peu oublié aujourd’hui, a été poète, soldat, cinéaste, écrivain, reporter et homme de radio. Il a fait partie de l’avant-garde artistique parisienne de l’âge d’or 1910-1920. Il a parcouru le monde, les villes, les classes sociales. Portrait d’un aventurier / bourlingueur / poète / écrivain.
- Portrait de Blaise Cendrars par Amédéo Modigliani - 1917
D’abord Blaise Cendrars ne s’appelle pas Blaise Cendrars mais Frédéric-Louis Sauser. Frédéric/Blaise est né le 1er septembre 1887 à Berne en Suisse Allemande dans une famille bourgeoise et francophone. En 1904, à cause de ses mauvais résultats scolaires, il est envoyé à Moscou alors en pleine effervescence révolutionnaire (la première république des soviets a vu le jour en 1905). Il y reste jusqu’en 1907. C’est là qu’un bibliothécaire l’encourage à écrire. C’est à ce moment qu’il aurait écrit La "Légende de Novgorode, de l’or gris et du silence". Revenu en Suisse, il étudie la médecine à l’université de Berne où il aurait rencontré Adolf Wà¶lfli, dessinateur de génie et schizophrène violent, le "grand fauve humain" de son livre "Moravagine". Mais les études de médecine ne lui apportent pas les réponses aux questions qu’il se pose sur l’être humain, son psychisme, son comportement. C’est influencé par le symboliste Remy de Gourmont qu’il écrit ses premiers poèmes.
Fin 1911, il s’embarque pour New-York où il rejoint Fela Poznanska, une étudiante juive polonaise rencontrée à Berne qu’il épousera par la suite et qui sera la mère de ses trois enfants. Ce séjour lui montre la voie de la modernité dans laquelle le monde s’engage : mécanique et vitesse. C’est là qu’il écrit "Les Pâques à New-York" qu’il signe du pseudonyme qu’il vient de créer, Blaise Cendrars.
Pendant l’été 1912 à Paris, il fonde avec Emil Szittya, écrivain anarchiste de son état, une revue, "Les Hommes Nouveaux", et une maison d’édition où il publie "Les Pâques" et "Séquences". On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même.
A Paris il se lit avec la fine fleur de la "bohème" artistique de l’époque : Appolinaire, Chagall, Léger, Modigliani. En 1913, il publie "La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France" qui comporte des illustrations en couleur de la peintre Sonia Delaunay. C’est un poème-tableau de deux mètres de haut où se mêlent texte et image et présenté sous forme de dépliant.
Pendant la première guerre mondiale, Cendrars s’engage dans la Légion étrangère. Il est blessé lors de l’offensive de Champagne, le 28 septembre 1915. Gravement blessé à la main droite, il est amputé au-dessus du coude.
Privé de bras, le poète apprend à écrire de la main gauche. En 1916, il publie "La guerre au Luxembourg". C’est au cours de l’été 1917 qu’il se découvre une
- La fin du monde - Fernand Léger
nouvelle identité d’homme et de poète de la main gauche. Il écrit au cours de "sa plus belle nuit d’écriture", le 1er septembre, "La Fin du monde filmée par l’ange N.D.".
Dans "J’ai tué" (1918), son premier livre illustré par Fernand Léger, il écrit :
"« Mille millions d’individus m’ont consacré toute leur activité d’un jour, leur force, leur talent, leur science, leur intelligence, leurs habitudes, leurs sentiments, leur cœur. Et voilà qu’aujourd’hui j’ai le couteau à la main.
- Blaise Cendrars
L’eustache de Bonnot. « Vive l’humanité ! » Je palpe une froide vérité sommée d’une lame tranchante. J’ai raison. Mon jeune passé sportif saura suffire. Me voici les nerfs tendus, les muscles bandés, prêt à bondir dans la réalité. J’ai bravé la torpille, le canon, les mines, le feu, les gaz, les mitrailleuses, toute la machinerie anonyme, démoniaque, systématique, aveugle. Je vais braver l’homme. Mon semblable. Un singe. Å’il pour œil, dent pour dent. À nous deux maintenant. À coups de poing, à coups de couteau. Sans merci. Je saute sur mon antagoniste. Je lui porte un coup terrible. La tête est presque décollée. J’ai tué le Boche. J’étais plus vif et plus rapide que lui. Plus direct. J’ai frappé le premier. J’ai le sens de la réalité, moi, poète. J’ai agi. J’ai tué. Comme celui qui veut vivre. »
En 1919, il s’éloigne des avant-gardes artistiques et se tourne vers le cinéma. Il devient l’assistant d’Abel Gance pour son film "J’accuse". En 1921, il passe à la réalisation, mais c’est un échec. Comme nombre d’artistes de l’époque, il se passionne pour l’Afrique et compile dans son "Anthologie nègre" des contes de la tradition orale qu’il est le premier à considérer comme de la littérature. En 1923, il collabore avec Darius Milhaud pour la musique et Fernand Léger pour les décors et costumes des "Ballets suédois".
1924, ce grand voyageur est au Brésil où il découvre son "utopialand" dans un pays où la nature et la population s’accordent avec ses aspirations profondes. Il y reviendra en 1926 et 1927. De retour du Brésil, il se lance dans le roman. Il écrit en quelques semaines "L’Or" (1925) où il narre le destin tragique de Johann
August Suter, un milliardaire d’origine suisse ruiné par la découverte d’or sur ses terres en Californie. C’est un succès mondial, un succès qui fait de lui le romancier de l’aventure pendant les années 20. Suivent "Moravagine" (1926), "Le Plan de l’Aiguille", "Les Confessions de Dan Yack". Il prend contact avec le monde du journalisme avec la vie romancée de l’aventurier Jean Galmot ("Rhum - L’aventure de Jean Galmot", 1930). Il devient grand reporter et explore les bas-fonds (Panorama de la pègre, 1935). Son ami Pierre Lazareff, patron de Paris-Soir, l’envoie visiter Hollywood ("Hollywood, la Mecque du cinéma"). En 1934, c’est la rencontre avec Henry Miller dont il devient l’ami.
En 1939, lorsque la guerre éclate, il s’engage comme correspondant de guerre de l’armée britannique et publie ses reportages dans Paris-Soir. Le livre qu’il tire de ces reportages, "Chez l’armée anglaise", sera mis au pilon par les Allemands. Cendrars, déprimé, se retire à Aix-en-Provence et cesse d’écrire. Il ne recommence qu’en aoà »t 1943. Il publie plusieurs livres à partir de 1945 dont "Bourlinguer".
Dans les années 50, après la poésie, le cinéma, le roman, le journalisme, ce touche-à -tout s’essaie à la radio. Sa dernière œuvre sera "Emmène-moi au bout du monde" (1956). Il meurt le 21 janvier 1961 après une vie que l’on peut qualifier de bien remplie.
Jacques Becker
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