A la vie, à la scène, "autrement capable"
Valides et handicapés, des actes créatifs communs hors du commun
Travailler au coeur de l’humain, comprendre l’autre avec ses différences, c’est dans cet esprit que Tétines et Biberons, avec son directeur, Nicolas Noël, oeuvre au quotidien pour permettre aux personnes en situation de handicap, de s’exprimer par le biais du théâtre, de transmettre leurs émotions, de donner à voir leur créativité... Tout ce travail est à découvrir à Aubagne où la compagnie présentera fin novembre "La main dans le chapeau", une série de spectacles, concerts, ateliers créatifs en tout genre et pour tous, jeunes, vieux, valides, handicapés... Une rencontre à ne pas manquer !
Handimarseille. - Est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Nicolas Noël. - Je suis Nicolas Noël. Je suis directeur de l’association Tétines & Biberons.
H. - Parlez-nous de Tétines et Biberons !
N.N. - Alors Tétines et Biberons, c’est une longue histoire. On a été créé en 1985 par des personnes handicapées et des personnes valides qui faisaient du théâtre amateur humoristique et ils cherchaient un nom qui faisait rire ; ils ont trouvé Tétines et Biberons. Cela se passait au sein de centres spécialisés. À partir de 1991, l’association a évolué avec l’arrivée de comédiens professionnels en tant qu’intervenants.
En 1997, on a eu l’opportunité de jouer au festival d’Avignon. On a monté le "Petit Prince" de Saint-Exupéry et ça a bien fonctionné. C’est une des premières fois que des personnes handicapées faisaient une représentation théâtrale et le succès a été énorme.
Peu à peu, on s’est ouvert à d’autres pratiques artistiques telles que les arts plastiques, la danse, la vidéo...
On a à l’heure actuelle une trentaine de centres spécialisés sur la Région qui bénéficient de nos interventions, et des ateliers citoyens qui sont faits ici dans notre local.
Par ailleurs, en 2009, du fait d’un certain manque de lisibilité de notre association, on a créé une rencontre biennale qui s’appelle « La main dans le chapeau » et qui associe personnes valides et personnes handicapées.
On a en plus créé cette année, le projet No-Mad, qui a été déposé pour Marseille, capitale européenne de la Culture en 2013.
H. - En quoi consiste No-Mad ?
N.N. - L’idée, c’est de mettre en place, dans une vingtaine de villes et villages du département, des ateliers de création où on associe la population locale avec des personnes handicapées qui sont dans la même situation géographique. Pourquoi No-Mad, parce que "œnomade" , c’est un des thèmes de Marseille Provence 2013, mais eux, ils l’abordent sous l’angle de la migration, les liens de Marseille avec les pays de la Méditerranée, et nous, on s’est demandé comment coller à ce thème-là avec les personnes en situation de handicap. Pour nous, l’urgence pour les personnes handicapées, c’est répondre à un besoin avant tout de rencontres de proximité. Rencontrer et se mêler à la population locale, c’est déjà aller à la rencontre de l’autre, d’un certain ailleurs. Et du coup, ça nous a permis de faire le lien avec les projets de Marseille 2013 et de proposer une pérennisation pour l’après-2013. Tous les projets qu’on présente, font partie du projet No-Mad.
H. - Cette année, c’est une nouvelle édition de « La main dans le chapeau », de quoi va-t-elle être constituée ?
N.N. - Comme pour l’édition précédente, on a misé sur les rencontres. Il y aura des pièces de théâtre et notamment « Comme un courant d’air » qui entre dans le projet No-Mad et qui associe des adultes handicapés mentaux avec des seniors valides. Ils viennent tous du quartier de Saint-Joseph à Marseille. Il y a aura aussi un spectacle de danse réalisé par une jeune fille gitane trisomique passionnée de flamenco et qui sera accompagnée par ses frères. C’est d’ailleurs la seule Compagnie que l’on a invitée. Se mêlera à tout ça des groupes de musique et une performance de vidéo/danse effectuée par des adolescents valides et handicapés issus de l’atelier que l’on a mis en place au local. Le but de cette performance est de chercher à multiplier les points de vue des spectateurs. Certains danseront pendant que d’autres filmeront et tout cela sera projeté sur plusieurs écrans. Nous ferons également des masterclass où seront associés valides et handicapés et il y aura un grand jeu, le « Grand Magic Puzzle ».
H. - Pouvez-vous nous parler de ce jeu le« Grand Magic Puzzle » ?
N.N. - On a fait une fresque de 5m sur 3m, qui sera exposée pendant le Festival. On a juste dessiné les contours avec des codes couleurs sur 160 morceaux. La moitié d’entre eux seront distribués en amont du Festival aux personnes les plus handicapées et les plus éloignées géographiquement d’Aubagne. L’autre partie sera faite le lundi, où il y aura un grand atelier Arts plastiques, où il y aura des personnes handicapées, des seniors, des écoles...pour que chacun peigne son morceau de puzzle. Une fois que tout ça est peint, on va faire un grand jeu où l’idée va être de rassembler les 160 pièces. Le principe est simple. Les morceaux sont aimantés et nous sur le mur, on va dessiner des cadres, comme une bataille navale. Et petit à petit, la fresque sera reconstituée, sensiblement comme le modèle.
H. - Quelle est l’idée qui en découle ?
N.N. - L’idée, c’est de proposer vraiment une activité simple et que chacun dans son coin, on fait notre geste quotidien comme balayer notre rue ou mettre de la confiture dans un pot...et quand on met tous ces petits gestes ensemble, on peut arriver à quelque chose de complexe comme une Société avec un grand "œS" ou comme une fresque comme celle-là . Il y aura donc 160 pièces faites par 160 personnes différentes valides et handicapées.
H. - Vous travaillez également avec les écoles, quel est l’objectif ?
N.N. - C’est de sensibiliser les enfants valides au handicap et qu’ils aient une autre vision de la personne handicapée. Et le but, c’est d’appuyer là où ça fait du bien, c’est ça le travail que l’on fait avec les personnes handicapées au niveau du théâtre. La complexité de notre travail, c’est de déceler chez la personne handicapée ses capacités, et à partir de là , lui proposer quelque chose. Ça permet de montrer aux enfants, le bon côté de la chose, avant de voir les enfants handicapés intégrer leur classe. On incite et après c’est la vie qui fait le reste.
H. - Comment travaillez-vous ici ?
N.N. - On a le devoir de s’adapter à la particularité des personnes, on a aussi le devoir d’avoir une certaine exigence artistique et du coup, il y a un gros travail au niveau de la sensibilité des artistes et trouver les outils, les moyens d’expression qui fonctionnent. Nous ce qu’on cherche c’est le beau, qu’il y ait du théâtre, de l’imagination...Et c’est vrai que l’on n’a pas de manière particulière de travailler. Mon maître-mot vis-à -vis des artistes qui collaborent avec nous, c’est de chercher les capacités et de travailler "dedans", c’est la base, la matière première sur laquelle tout va se tisser. Sur la vingtaine d’artistes qui travaillent à Tétines & Biberons, ils ont chacun leur univers. Il y en a qui seront plus théâtre contemporain, d’autres qui vont travailler plus sur le mime, d’autres sur le théâtre-danse...Donc les disciplines et techniques c’est un peu l’artiste qui, suivant son parcours artistique, va les proposer aux personnes handicapées.
H. - Sur votre site, vous écrivez que « "œLe théâtre acteur social" est la quête d’un équilibre et d’un enrichissement mutuel entre le social et l’artistique », c’est-à -dire ?
N.N. - Ce que l’on a voulu dire c’est que la création artistique ne se fasse pas aux détriments de la personne, c’est vraiment prendre en compte la personne et de ne pas renouveler les erreurs du passé notamment sur le montage de spectacle ; c’est-à -dire qu’on ne prenait pas en compte leur rythme quotidien. En général, quand vous montez un spectacle avec des personnes valides, ça se fait toujours au dernier moment avec des répétitions qui sont ramassées, des heures et des heures de travail d’affilé... On ne peut absolument pas demander la même chose à une personne qui a un handicap, qui fatigue beaucoup plus vite. L’objet artistique ne doit pas se faire aux détriments de l’humain.
H. - Est-ce que vous travaillez avec tous les handicaps ?
N.N. - À part avec les personnes malvoyantes ou malentendantes, on travaille avec tout le monde. Ce sont des personnes qui ont du mal à se positionner en tant que personnes handicapées, du coup, dès que l’on va mettre quelque chose en place pour les handicapés, ils s’excluent d’eux-mêmes. On n’a jamais fait de distinction mais en 20 ans de parcours, on n’a très peu d’expérience avec ce genre de public. Il y a peut-être un pas à faire de part et d’autre. On a des comédiens qui commencent à se former à la langue des signes, donc on va essayer de faire quelques expériences.
H. - Que pensez-vous de l’accès au Théâtre sur Marseille et ses environs ? L’accès aux salles et les spectacles adaptés ?
N.N. - Les théâtres ne sont pas forcément assez dotés financièrement pour investir dans des dispositifs, qui en plus, ne seront pas gage que les personnes handicapées aillent plus au théâtre. Ce n’est le plus souvent pas dans leur culture d’aller au théâtre et je pense que plus que l’adaptation technique, c’est un travail de fond qu’il faut faire avec ces publics-là . Il faut les solliciter, leur proposer des accompagnements, un peu préparer le terrain. Il y a à Marseille tout un travail à faire dans ce sens. Il y a tout à faire. Il n’y a pas que la salle qu’il faut adapter, mais aussi les toilettes, le bar, le parking...Il y a tout un environnement qui fait que sortir, c’est le parcours du combattant. Il faut donc à la fois agir sur les mentalités, sur la technique, sur les équipements de théâtre...
H. - Vous avez mis en place justement le "œT’as pass" , comment cela fonctionne ?
N.N. - Il y a une médiatrice culturelle qui vient pour parler du spectacle, afin de les préparer, les sensibiliser à l’histoire. Elle est en relation avec l’équipe du théâtre, où là effectivement il y a tout le problème logistique. Par exemple, pour les personnes déficientes mentales ou autistes, il faut vérifier qu’elles soient près de la sortie plutôt qu’en plein milieu...Il y a cette vigilance à avoir et c’est vrai que les personnes handicapées, ce n’est pas la cible prioritaire des théâtres. À l’heure actuelle, c’est important quand même d’avoir des médiateurs culturels qui fassent le lien entre les structures spécialisées, les personnes handicapées et les lieux culturels.
H. - Si vous aviez un message à faire passer aux lecteurs d’Handimarseille, ce serait lequel ?
N.N. - Le message c’est « Autrement capable », c’est-à -dire que chaque année, les institutionnels trouvent une nouvelle formule pour définir les personnes handicapées, et bien nous on propose cette formule-là qui est "les personnes autrement capables".
Propos recueillis par Sarah Champion et Yoann Mattei
Post-scriptum
Cie Tétines et Biberons
63 Chemin de la vallée 13400 AUBAGNE
Tel : 04 42 03 37 09
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