"Regardez le spectacle, pas les fauteuils !"
Jean-Louis Berthon est l’un des acteurs principaux de la pièce de théâtre "La Fête des deux sous", qui s’inscrit dans le cadre du festival la Main dans le chapeau.
Après un accident qui occasionnera des séquelles sur ses capacités motrices et cérébrales, une rencontre propice avec la compagnie Tétines et Biberons lui offre la possibilité d’exprimer sa créativité et de retrouver confiance en lui. Entretien avec cet homme qui clame haut et fort que le handicap n’est pas un crépuscule.
Handimarseille - Pouvez-vous vous présenter ?
Jean-Louis Berthon - Jean-Louis Berthon, travailleur dans l’ESAT [1] La Gauthière, où j’habite un petit appartement, qui a été construit sur le parking, une extension. A la base, je suis un ancien valide, j’ai eu un accident de voiture en 1978, qui a causé des séquelles sur mes capacités motrices et cérébrales.
H. - Vous aviez quel âge ?
J-L.B. - J’avais 21 ans. J’ai fait du coma pendant huit mois et demi, j’ai quand même récupéré certaines de mes capacités. Et grâce à Nicolas et à "œTétines et Biberons" , je suis arrivé à prendre de l’assurance sur moi.
H. - Le travail que vous faites à l’ESAT, c’est quoi ?
J.L.B. - Je plastifie du métal, je le peins avec une poudre électrostatique.
H. - Ce qui vous a donné l’envie de faire du théâtre, c’est la rencontre avec les personnes de "œTétines et Biberons" , qui étaient venues dans votre centre ?
J.L.B. - Oui. Parce que moi, aller en ville ou ailleurs, je ne me sentais pas encore capable de pouvoir le faire, maintenant peut-être que je pourrais. Ils m’ont aidé à me prouver que je pouvais faire quelque-chose de moi.
H. - Est-ce vous pouvez nous raconter les premières séances de travail ?
J.L.B. - J’étais avec Stéphane qui est venu à la Gauthière, on a commencé à travailler les mouvements, les décompressions... tout ça, et après on a commencé à faire une pièce, à monter une pièce...
H. - Vous vous souvenez du titre ?
J.L.B. - « Place de la Zizanie ». C’est une pièce carrément inventée par le groupe, et il a vu notre handicap, on a discuté là dessus, on a joué certains rôles en rapport avec nos handicap.
H. - Et votre rôle dans cette pièce, c’était quoi ?
J.L.B. - Ça remonte à loin ça ! Moi, ce que j’étais ? J’étais le mari de Véronique.
H. - Vous étiez le mari, l’amoureux...
J.L.B. - Après j’en ai fait d’autres. Liliane avait fait « les Femmes savantes », où j’étais le gros pacha un peu bête, qui dévoile tout à la fin. Ce qu’il y a de super, c’est qu’avec les profs de théâtre, ils sont vraiment à notre écoute. C’est moi qui les ramène souvent à la gare, et quand je discute avec eux, ils m’ont toujours dit qu’ils apprenaient beaucoup de choses avec nous. Parce que, même Véronique qui ne parle pas, qui prononce très mal, où je traduis un petit peu, ils arrivent à la comprendre. Au début c’est dur, il n’y a que moi qui la comprends, ça fait trente ans qu’on se connaît.
H. - Vous apportez des choses à vos profs, et vous, qu’est-ce que ça vous apporte ?
J.L.B. - Moi, ça m’a beaucoup apporté, parce qu’avant je parlais beaucoup moins bien que ça. Je suis arrivé à prendre sur moi, j’ai eu une opération qui m’a aidé à mieux prononcer. Mais tout compte fait j’avais toujours des difficultés à parler, à me faire comprendre, et puis j’ai fait du théâtre et j’arrive mieux à articuler, j’arrive mieux a m’extérioriser. C’est une grosse indépendance pour moi, et de pouvoir se montrer tel qu’on est, c’est super.
H. - Vous avez présenté en juin dernier un spectacle « Moments de vie », est-ce que vous pouvez nous raconter un peu l’idée du spectacle, ça racontait quoi ?
J.L.B. - Ce qu’il y a, c’est que comme chez nous il y a des personnes qui ne parlent pas dans le groupe, on a essayé de faire un truc pratiquement muet, visuel surtout. On faisait passer des émotions. Puis il y a des personnes qui jouent avec nous, qui sont très fortes pour ça. Moi, je me suis retrouvé en ange et je ne suis pas un ange du tout, et dans tous les sens... Puis on a fait un rôle avec ma copine, on a fait une approche, puis une rencontre mais sans paroles sans rien, et je peux vous dire que ça a ému beaucoup de personnes, c’est eux qui me l’ont dit. Ils étaient très émus par ce qu’on fait. Quand vous voyez des personnes qui ne peuvent pas bouger ni les bras ni les jambes et qu’on fait une séance de maquillage sur eux, c’est trop beau ! Ce qui est bien, c’est qu’il est vraiment à l’écoute, notre prof de théâtre.
H. - Il s’appelle comment ?
J.L.B. - Je mélange tout moi... Alfonso, voilà ...Mon handicap il fait ça. J’ai un peu de perte de mémoire, c’est pour ça que les pièces qu’on fait, on improvise pratiquement tout le temps.
H. - Il n’y a rien de vraiment figé même au moment du spectacle ?
J.L.B. - Si le thème, le sujet est figé. Mais ça arrive, qu’il y ait des fois, on se rappelle plus de la phrase ou autre chose, on la traduit d’une autre manière. Je veux dire qu’on peut voir la pièce deux fois de suite, ce ne sera jamais pareil, mais le thème reste le même.
H. - Vous sur scène, que ressentez-vous quand vous jouez ?
J.L.B. - Une liberté d’expression. Quand on joue un rôle, on est plus nous-même. Moi je sais, je me suis senti autre chose, une autre personne.
H. - Et ce sont des moments que vous aimez retrouver ?
J.L.B. - Ah oui, beaucoup. Et en plus de ça, comme on est une vraie équipe, on s’entend à merveille. On s’est toujours aidé, tous autant qu’on est. L’avantage qu’on a c’est qu’on est en fauteuil roulant, puis comme ça on voit les progrès que la personne arrive à faire, la différence de séance en séance. Les problèmes, on sait les résoudre et on les résout bien, parce que les critiques ont toujours été positives.
H. - Vous allez présenter à l’occasion de « La main dans le chapeau », un spectacle « La fête des deux sous », vous pouvez nous en parler ?
J.L.B. - Il y a trois personnes à mobilité réduite plus une personne qui est valide, parce que le rôle il faut vraiment bouger. C’est l’histoire de trois amis qui sont perdus dans la forêt, parce qu’il y en a un qui a voulu suivre un lapin blanc. Et le lapin blanc les a induit en erreur. Il y a ma copine qui rentre en colère. On a tous qu’un sou, moi je donne mon sou à la personne qui est avec moi et l’autre, il le vole. Je le récupère et je refuse de lui rendre.
H. - C’est donc une comédie.
J.L.B. - Oui, il y a beaucoup d’humour.
H. - Et vous, vous allez au théâtre ?
J.L.B. - Pas très souvent
H. - Pourquoi ?
J.L.B. - Rester immobile , ça ne me plaît pas, il faut que je bouge. Le théâtre et le cinéma c’est quelque chose que je ne supporte pas.
H. - Et si vous aviez un message à faire passer à nos lecteurs ?
J.L.B. - S’ils viennent voir le spectacle, ne pas regarder les fauteuils. Mais plutôt voir la personne qui est assise dessus et qui joue, parce que le fauteuil ce n’est qu’une aide au déplacement et qu’on arrive à inventer beaucoup plus de choses que toute autre personne, voir l’émotion, qu’on vous transmet, c’est super. Venez le voir !
H. - Est-ce qu’il y a autre chose que vous voulez ajouter ?
J.L.B. - Vous savez je fait partie de la commission "œsécurité routière" et j’ai toujours dit aux jeunes : « vous avez la voiture c’est bien, mais ne croyez pas que vous êtes tout seul sur la route et que vous serez le plus fort ». Moi, j’en ai eu la preuve.
H. - Vous avez été imprudent sur la route ?
J.L.B. - Imprudent, oui, parce que j’avais trop bu. Je suis sorti quand même, en croyant que j’étais le plus fort et tout compte fait j’ai eu un accident de voiture et tout à basculé. Pour ça je tiens à alerter les jeunes, ça pourrait leur ouvrir les yeux. Leur dire qu’on n’est pas perdu quand on est handicapé, mais quand même... il ne vaut mieux pas tenter le diable.
H. - Merci beaucoup.
Propos recueillis par Sarah Champion et Yoann Mattei
Notes
[1] Établissement et Service d’Aide par le Travail
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