« Vous allez au cinéma ? À quoi ça sert, vous n’y voyez rien ! »
La luciole s’engage pour l’accès au cinéma
Et oui, on peut être déficient visuel et cinéphile ! Non seulement on peut écouter la bande-son et s’immerger dans l’ambiance et l’action d’un film, mais depuis plus de vingt ans l’audiodescription permet de profiter des moindres détails.
Dorothée Lombard et Pilar Romero de Castilla de l’association La Luciole co-organisent une fois par mois des séances cinéma en audiodescription à l’Alcazar et nous parlent de ce procédé.
Handimarseille : Bonjour, pouvez-vous vous présenter et présenter votre association ?
Dorothée Lombard : Je suis présidente de l’association La Luciole, créée en juillet 2004 et qui a pour objet de promouvoir la pleine citoyenneté des personnes handicapées.
Pour ce faire on a tablé sur l’information des personnes handicapées, ainsi que du public et des professionnels. Notamment par le biais d’un magazine radiophonique qui s’appelle Handicap tribune [1] et par le biais de notre site web aussi, qui est malheureusement peu mis à jour faute de temps et de personnes.
Il y a aussi un travail de sensibilisation au niveau des centres de loisirs, via Tactilivre, des ateliers autour du livre tactile. Et de la sensibilisation au handicap visuel dans les écoles ou sur des lieux festifs aussi, des fêtes de quartiers par exemple.
La troisième idée c’est de faire la promotion de l’accessibilité à tout et pour tous. L’accessibilité universelle, au niveau de tout ce qui est loisirs et culture. L’accessibilité aux handicaps sensoriels n’est pas si évidente que ça, il y a encore beaucoup de travail à faire.
L’accessibilité c’est aussi l’équipement en audiodescription et en sous-titrages des cinémas.
Pilar Romero de Castilla : Je suis membre de l’association et je m’intéresse tout particulièrement à l’audiodescription. On a en projet avec Dorothée d’audiodécrire des films, de s’entraîner à cette technique.
On a réalisé aussi avec peu de moyens un petit film de sensibilisation au déplacement dans la ville, pour les personnes voyantes. Ça s’appelle La ville à perte de vue [2]. Les voyants sont mis en situation de handicap, ils se déplacent comme des non voyants, ce n’est pas du tout descriptif ni pédagogique, c’est vraiment une question de sensations.
H : Qu’est-ce que l’audiodescription ?
P.R.C : L’audiodescription c’est une technique très simple qui consiste à décrire pour une personne non-voyante les images et les mouvements d’un film.
Une personne non voyante a la bande-son du film : les dialogues, la musique, les bruitages, mais les éléments visuels lui échappent.
On a tous connu cette situation de décrire à une personne malvoyante, la mamie devant la télévision, par exemple, lui dire : tiens là, il se passe ça. C’est venu de ça, c’est le frère de Coppola qui a créé cette technique, l’audiovision, et qui la déposée. Ensuite il a formé des personnes en France de l’association Valentin Haüy à cette technique dans les années 80. Ça c’est mis en place comme ça. Madame Plumauzillle est une des pionnières, elle fait un vrai travail d’écriture.
D.L : Il y a de plus en plus de films qui se finissent sans dialogues, sur des images, du coup on manque la fin du film ! C’était le cas pour Paulette. Moi, j’ai demandé à un voisin dans la salle, c’est comme ça que j’ai su la fin, voilà l’intérêt aussi d’aller au cinéma ! Sinon vous pouvez tout imaginer, comme une fin tout à fait à l’opposé.
P.R.C : Et puis ça ne concerne pas que les films, ça peut concerner aussi le spectacle vivant, le théâtre, l’opéra, la danse. Dans ces cas-là la description est faite par une personne qui a travaillé en amont avec le metteur en scène, le chorégraphe ou le créateur, pour audiodécrire toute chose qui ne peut pas être perçue. C’est du semi-direct, une grosse partie est enregistrée mais la personne est là en régie pour caler la bande de description sur ce qui se passe vraiment sur scène, pour qu’il n’y ait pas de décalage et éventuellement rajouter des choses en direct. La structure Accès Culture est tout particulièrement intéressée par ce travail de description. Ils travaillent à l’échelon national et notamment à Aix et à Marseille, au Jeu de Paume, au Gymnase et à la Criée.
H : Quelles sont les difficultés de la description ?
P.R.C : L’auteur de la description doit faire un choix. Matériellement il n’y a pas beaucoup de place dans la bande-son pour ajouter la description de ce qui est montré à l’image, parce qu’il y a des dialogues, de la musique, des sons qui sont eux-mêmes révélateurs de choses qu’il n’est pas nécessaire de dire, il ne faut pas couvrir ces éléments. C’est un véritable travail de traduction du style de l’image.
D.L : On peut empiéter parfois sur la musique mais pas sur le son, il y a une œuvre à respecter.
Et puis quel est l’intérêt de décrire un film muet par exemple ? La question s’est posée notamment pour The Artist dont la description a été diversement appréciée auprès du public non voyant, pas la description elle-même qui était magnifique, mais l’intérêt de décrire ce type de cinéma. Ce sont des questions de cinéphilie.
H : Quelles sont les avancées aujourd’hui dans ce domaine ?
P.R.C : Avec les lois concernant l’accessibilité, notamment pour la télévision, ça c’est beaucoup développé. Ce sont les sociétés de sous-titrages qui ont pris un peu le relais et qui font des commandes à des audiodescripteurs, soit de l’Association Française d’Audiodescription (AFA), qui est une émanation de l’Association Valentin Haüy, soit à des personnes qui le font en tant qu’auteur.
D.L : Il y a effectivement divers laboratoires, l’AFA, MFP, et d’autres. Ces laboratoires sont sollicités par les chaînes pour décrire tel ou tel films.
Ça se fait de plus en plus parce que le CSA a exigé que les chaînes prennent en charge l’audiodescription dans leur programmation.
La CFPSA (Confédération Française pour la promotion sociale des aveugles et amblyopes), a lancé, sur la demande des chaînes, un groupe de travail qu’ils ont appelé le panel audiodescription, il est chargé de promouvoir la qualité des descriptions. Ce panel regarde des films et font des fiches, pour évaluer les descriptions selon certains nombres de critères : bande son bien respectée, débit de voix correct, audiodescripteur neutre ou pas etc. Ces évaluations sont transmises au laboratoire d’audiodescription et permettent de faire un suivi de ce qui se passe. À la télévision il y a maintenant une ou deux audiodescriptions par semaine.
Un des problèmes c’est que les chaînes décrivent beaucoup de séries, c’est très gentil, mais ce ne sont pas des films. Il n’y a pas de différence dans le quota entre les types de programmes. Ce qui fait qu’il y a très peu de documentaires, voire pas du tout, et les chaînes s’en tirent à bon compte en décrivant des séries dont elles sont co-productrices, et ont donc moins de droits à payer.
Il y a tellement de beaux films qui ne sont pas décrits que quand vous voyez décrire les séries Joséphine ange gardien ou autres, c’est vraiment dommage. C’est plus facile à décrire et ça coûte moins cher.
H : Les producteurs prévoient-ils aussi l’audiodescription dans leur pré-production ?
P.R.C : Maintenant on encourage les producteurs à sortir les films avec la description et à l’inclure dans leur budget. Ce n’est pas encore évident, l’habitude n’est pas encore là. Mais c’est le cas de certains films récents comme À l’aveugle, Le prénom, Le Marsupilami, Monstres à Paris, The Lady, The artists...
D.L : Ça fait un ou deux ans que l’on commence à avoir des films décrits de manière un peu plus habituelle qu’auparavant, et qui sont surtout transmis en DVD après. Car avant on pouvait seulement emprunter quelques films à l’association Valentin Haüy, il n’y en avait pas dans le commerce. L’AVH en vend mais de façon très épisodique. Et puis dans les magasins habituels le vendeur n’est souvent pas au courant, il y a un logo qui existe mais il n’est pas forcément bien connu ni bien répertorié sur les DVD, des fois on ne peut pas savoir si le film est décrit ou pas.
H : Vous organisez des séances à Marseille ?
D.L : À Marseille, l’Alcazar propose des projections de films, plus ou moins anciens, qui ont été décrits. La description est diffusée directement dans toute la salle. La Luciole et l’AVH sont partenaires dans le choix des films proposés.
H : Quelle est la fréquentation ?
D.L : Chose curieuse, il y a beaucoup plus de personnes voyantes que de personnes déficientes visuelles, c’est assez étrange mais c’est comme ça. Ça ne fait pas plaisir à la direction de l’Alcazar, mais moi ça me fait plutôt plaisir, ça veut dire que c’est aussi un moyen de sensibiliser et de montrer que l’audiodescription n’est pas forcément réservée à des personnes qui sont reconnues « administrativement » comme des personnes handicapées visuelles, ça peut s’étendre beaucoup plus loin que ça et c’est bien.
C’est très bien que des voyants viennent voir des films en audiodescription. Pourtant on dit souvent que l’audiodescription peut gêner la personne voyante parce que comme ils voient les images ça fait une sorte de doublon qui est assez difficile à coordonner.
La direction de l’Alcazar est en train de se dire que donner la salle douze fois par an à des non-voyants qui la plupart du temps ne viennent pas ce n’est pas très intéressant. Je trouve que c’est absurde de dire qu’on va supprimer les séances parce que les aveugles n’y vont pas : l’intérêt d’une manifestation se voit à la fréquentation de la manifestation, pas forcément au type de public. Il y a beaucoup de monde en fait qui vient.
P.R.C : Il y a aussi des personnes âgées qui ont peut être du mal à bien voir ou à suivre, ça aide beaucoup.
H : Quelles seront les prochaines séances ?
D.L : Dans les prochaines éditions il y aura le film Les oiseaux d’Hitchcock qui sera projeté le 16 mars prochain, et le film Chouchou de Merzak Allouache, le 20 avril.
Après on ne sait pas trop parce qu’il y des petits flottements, mais les séances seront maintenues au moins jusqu’à la fin 2013.
Il faut rendre hommage d’ailleurs à la responsable du service Lire autrement de l’Alcazar, Corine Viré, qui se démène tant qu’elle peut pour que ces séances soient maintenues et que les personnes handicapées visuelles soient incluses dans la programmation de l’Alcazar.
Et puis il y a aussi un appel à faire, si on veut que les choses se maintiennent, il faut prendre part de temps en temps à ce qui se passe, même si ce n’est pas systématiquement. Je ne suis pas pour aller systématiquement voir quelque chose qui est organisé parce que c’est organisé pour les personnes handicapées visuelles : je ne regarde pas un film parce qu’il est audiodécrit, je le regarde parce que je veux voir le film.
C’est aussi un constat général : les déficients visuels sur Marseille sont très difficiles à mobiliser. Il doit y avoir plusieurs facteurs, il y a un problème d’information et de déplacement, parce que se déplacer à Marseille ce n’est pas du tout une évidence, à pied ça ne l’est pas mais avec Mobi métropole ça ne l’est pas non plus.
Les gens trouvaient aussi les films trop anciens, ce qui a conduit au service Lire autrement de se doter d’une petite vidéothèque avec des films décrits récemment, ils vont être projetés, et par ailleurs, ils peuvent être empruntés comme les autres documents.
H : En dehors des séances spécialisées, savez-vous si certaines salles incluent l’audiodescription à leurs projections ?
D.L : Il existe maintenant des salles équipés de casques pour l’audiodescription dans quelques cinémas en France mais ce n’est pas le cas partout. C’est une question d’équipement et de demande du public. Si les gens ne savent pas, ils ne peuvent pas venir et les salles ne s’équipent pas.
Au cinéma le Prado il y a une séance plus ou moins mensuelle avec madame Dussol de L’Œil qui écoute. Madame Dussol intervient sur diverses communes de la région. Elle propose des films et elle les décrit en direct. Ce qu’elle voudrait c’est que le public lui indique ses desiderata au niveau des films, mais il y a peu de répondant.
Post-scriptum
Voici les dates pour les prochaines projections en audiodescription à la BMVR l’Alcazar de Marseille :
16 mars : Les Oiseaux réalisé par Alfred Hitchcock
20 avril : Chouchou réalisé par Merak Allouache
Renseignements complémentaires :
Pour ce qui concerne les horaires et le lieu de diffusion dans l’Alcazar, veuillez vous renseigner auprès du Service Lire Autrement, du mardi au samedi entre 11h et 19h, au 04 91 55 90 00 (demander le service au standard).
Notes
[1] Handicap tribune, à Marseille sur Radio Galère, 88.4 FM, chaque troisième mercredi du mois de 20 h à 21h30.
[2] La ville à perte de vue sur vimeo
Voir en ligne : La Luciole
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