Handimarseille - Pouvez-vous vous présenter ?
Jean-Louis Séréni - Je m’appelle Jean-Louis Séréni, je suis le directeur adjoint de Arc-en-Ciel. L’Arc-en-Ciel étant l’un des établissements de l’IRSAM. l’IRSAM c’est l’Institut Régional des Sourds et Aveugles de Marseille qui comprend plusieurs établissements sur Marseille et sur l’île de la Réunion. L’Arc-en-Ciel est un établissement qui accueille des déficients visuels de trois à vingt et un ans avec handicaps associés ou pas. Pour ma part, j’ai été enseignant spécialisé en mathématiques et en biologie pendant treize ans, ensuite j’ai été responsable pédagogique, et aujourd’hui je suis le directeur adjoint de la structure.
H. - Quelles sont les actions menées par votre association ?
JLS. - L’IRSAM œuvre pour une prise en charge pédagogique, éducative et thérapeutique des personnes déficientes sensorielles. Elle a pour but de promouvoir et faciliter l’instruction intellectuelle et professionnelle ainsi que l’éducation des personnes déficientes sensorielles. L’Arc-en-Ciel est un IME (Institut Médico-Éducatif). Nous travaillons sur une prise en charge la plus précoce possible, pour éviter l"™isolement, éviter les troubles secondaires chez l"™enfant. Pour cela, on accompagne la famille et l"™enfant, on les aide à construire un projet d"™avenir qui passe par la rééducation visuelle et la mise en place de suppléance sensorielles, la scolarisation en milieu ordinaire ou spécialisé. Lorsque l’enfant devient jeune adulte et s’il a des handicaps associés, nous essayons de trouver des débouchés soit dans des milieux protégés de types ESAT, c’est à dire des Etablissement et Service d’Aide par le Travail, soit en foyers occupationnels ou en MAS c’est à dire en Maison d’Accueil Spécialisée.
H. - A l’aube de 2015, que pensez-vous de l’application de la loi 2005 en ce qui concerne l’espace public pour les personnes handicapées et plus particulièrement pour les personnes déficientes visuelles ?
JLS. - C’est une évidence de dire que la notion d’accessibilité ce n’est pas tout à fait la même chose pour une personne en fauteuil roulant ou une personne déficiente visuelle. J’ai l’impression que l’on ne tient pas beaucoup compte du handicap visuel dans les problèmes d’accessibilité, parce que les gens n’y pensent même pas. En général, quand on parle d’accessibilité des personnes handicapées moteurs, on a tout de suite l’image du fauteuil qui se bloque devant les escaliers, alors que ce n’est pas un obstacle pour un aveugle. Pour les déficients visuels, on pense toujours au chien d’aveugle et à la canne blanche, et un gros travail reste à faire à ce niveau là . Il faut déjà supporter le manque de civisme des gens qui se garent un peu n’importe où sur les trottoirs, et le manque d’adaptation des structures de transport en commun. Malgré tout, quelques feux rouges ont été aménagés et sont sonores. Il y a quelques bandes rugueuses pour signaler quelques traversées également sur le quai du métro. Pourtant les solutions sont relativement simples. Dans le métro, il suffirait que les stations soient annoncées comme cela existe dans d’autres villes de France. Si les stations étaient annoncées oralement, ça résoudrait déjà un petit souci pour les personnes qui ne voient pas et qui sauraient du coup exactement à quelle station elles doivent descendre.
H.- Dans quelles villes est-ce le cas ?
JLS. - A Lyon et à Paris, certaines lignes le sont, mais à Marseille aucune. Le tramway au début était sonorisé, mais maintenant il ne l’est presque plus. Dans les bus, il n’ y a pas beaucoup d’annonces orales de stations. Il nous est déjà arrivé de dire aux jeunes lycéens de rester à l’avant du bus, surtout s’ils prenaient une ligne de bus à la même heure, et qu’ils commençaient a être connu des différents conducteurs. C’était donc à eux de demander aux différents conducteurs l’arrêt auquel ils doivent descendre. C’est vrai que cela fait appel à une démarche personnelle et au bon vouloir du conducteur, ce qui n’est pas systématique. D’ailleurs nos jeunes ont des cours de locomotion pour essayer déjà de se repérer dans l’établissement et le quartier. On les entraîne à faire des trajets pour qu’ils se rendent à des stages, leur collèges ou à leurs lycées. Mais quand des travaux sont mal signalés sur leur itinéraire habituel ou des voitures mal garées sur le trottoir, nos jeunes doivent résoudre un imprévu qui requiert une capacité d’adaptation instantanée. C’est la raison pour laquelle on tient beaucoup à cette notion d’autonomie, qui inclut le fait de savoir qu’on ne pourra pas être autonome à 100%. L’autonomie inclut la notion de savoir où on peut se rendre seul et de demander de l’aide pour passer à un endroit où on n’a pas l’habitude de traverser à cause des travaux.
H. - Vous disiez que le tramway était sonore pourquoi ne l’est-il plus ?
JLS. - Je ne sais pas. Il n’y a plus d’annonces sonores, alors que le défilant visuel est toujours présent. Mais pour la majorité de nos jeunes cela ne sert à rien ! Même ceux qui ne sont pas aveugles complets et qui sont malvoyants n’arrivent pas à le percevoir. Si les stations étaient annoncées à haute-voix aussi bien dans les métros, les tramways et les bus, ça aiderait les personnes qui ont des problèmes de vue, les personnes âgées qui peuvent avoir eu une vie très ordinaire et qui ont des problèmes de vue sur leurs vieux jours, les étrangers qui ne savent pas forcément lire notre alphabet, tout comme les personnes qui sont en difficulté pour des raisons d’analphabétisme ou d’illettrisme. Quand on aide un type de handicap, on aide aussi d’autres franges de la population.
H. - Les annonces sonores peuvent poser certains problèmes, par exemple pour les feux tricolores, cela entraîne des nuisances sonores pour les riverains qui parfois se plaignent ?
JLS. - Marseille a peu de feux tricolores sonores. D’ailleurs, il y en a un qui n’est pas loin de notre structure à la jonction de la montée de l’Oratoire et du boulevard André Aune. Ce qui a posé des problèmes, c’est qu’il disait en permanence " de ne pas traverser ". Il a donc été modifié pour que les annonces ne se fassent pas uniquement au moment où l’on appuie. Désormais, les personnes déficientes visuelles ont un petit boîtier, du coup cela limite les problèmes de nuisances pour le peu de feux sonores qui existent.
H. - La ville les distribue gratuitement ?
JLS - Oui, il faut les demander en prouvant que l’on est déficient visuel ou avoir un avis circonstancié comme nos instructeurs en locomotion qui en ont besoin pour montrer comment cela fonctionne et apprendre à nos jeunes. Par conséquent, on est obligé de faire une demande officielle pour avoir droit à ces boîtiers. De plus, je regrette que l’on ne puisse pas généraliser ce que l’on appelle " les bandes rugueuses " : les trottoirs tactiles pour bien signaler sous les pieds la zone où l’on peut vraiment traverser.
H. - Vous les trouvez en nombre insuffisant ?
JLS. - Oui, certainement. Il y en a pour le tramway où presque tous les arrêts ont ces bandes là . Dans le métro, les bandes rugueuses signalent au moins les positions de certaines portes de voitures. Par contre pour le bus quasiment rien n’est fait, la personne déficiente visuelle est tributaire des renseignements qu’elle peut demander aux personnes qui attendent par exemple.
H. - Justement travaillez-vous conjointement avec des élus sur les questions d’accessibilité et y a t-il des actions de concertation qui sont menées ?
JLS. - Alors, je sais que nos instructeurs en locomotion ont participé à une commission municipale où ces questions là ont été abordées. C’est une collaboration relativement ponctuelle, mais pas un travail continu et soutenu. Cette année, je pense qu’ils ont dà » assister à une réunion. Malheureusement, on ne voit pas trop les réalisations concrètes qui devraient faire suite. Par exemple, quand il y a eu la réalisation de la bibliothèque de l’Alcazar, un de nos instructeurs en locomotion à participé à l’aménagement. Grâce à cette effort de concertation, le résultat est tangible. Par contre au niveau municipal et à grande échelle ça devient compliqué. Pour l’aménagement des stations de tramway, on nous a aussi demandé notre avis et certaines choses ont pu être mises en place.
H. - Lesquelles ?
JLS. - La présence des bandes rugueuses parallèles au quai pour que les gens puissent repérer le bord du quai, c’est à dire avec des points et non pas avec des bandes qui soient perpendiculaires au quai, pour signaler l’emplacement des portes. Par contre, pour rechercher la borne qui valide le ticket, c’est un autre problème.
H. - Aviez-vous fait des propositions ?
JLS. - Non, je ne pense pas. On s’est surtout inquiété du repérage des wagons et du risque de chute sur les rails. Dans le métro, suite à un accident où malheureusement une de nos anciennes élèves est décédée puisqu’elle avait confondu un espace entre deux wagons et l’espace de la porte ouverte. Une prise de conscience est née et on a aménagé le bord des quais. Mais bon, il fallu quand même un drame pour que ça bouge ! Mais l’accès au métro en lui même n’est vraiment pas balisé ! La Gare a quand même un service pour les personnes handicapées, qui accompagne les personnes handicapées jusqu’à leur places assises. Par conséquent, une personne aveugle complet peut voyager toute seule à condition de téléphoner au service, quand il fonctionne bien, c’est à dire quand la personne en ligne ne se trompe pas de service et ne vous met pas dans un mauvais train. C’est arrivé malheureusement une fois et ce n’est pas très agréable !
H. - Qu’en est-il des nouvelles constructions, des nouveaux immeubles ?
JLS. - Dans les nouveaux immeubles, il y a souvent des touches en brailles dans l’ascenseur. Par exemple chez moi, il y a des touches en braille, mais le relief est ténu, à tel point qu’une amie qui est très forte en braille, aveugle de naissance, qui a été obligée d’utiliser le braille toute sa vie et de surcroît professeur de braille, n’arrive pas vraiment à sentir le relief. C’est une fausse adaptation. Quand vous mettez du braille qui n’est pas accessible au toucher, autant ne rien mettre ! Autre chose, ça ne concerne pas les problématiques d’accessibilité, mais cela représente un aménagement : c’est la présence d’inscriptions en braille plus nombreuses sur les boîtes de médicaments, ce qui constitue une avancée non négligeable. Par ailleurs, c’est difficile pour les personnes déficientes visuelles de faire leurs courses, parce que la plupart du temps les grandes surfaces sont en banlieue et qu’il faut avoir un moyen locomotion. Quand vous êtes dans un supermarché, les rayons sont un peu tous les mêmes. Comme je dis souvent "rien ne ressemble plus à une boîte de petits pois, qu’une boîte de haricots verts ou toute autre conserve." C’est la raison pour laquelle beaucoup de déficients visuels font souvent leurs courses dans leur quartier, parce qu’ils ont besoin de la relation humaine un peu privilégiée, qu’ils peuvent tisser avec un commerçant, avec toute la confiance que cela implique. En général, la personne déficiente visuelle ne va au supermarché que si elle est accompagnée par une personne valide.
H. - L’APF (Association des Paralysés de France) a fait paraître un baromètre de l’accessibilité des grandes villes, à quoi attribuez-vous le mauvais classement de Marseille ?
JLS. - Peut-être à un manque de volonté politique de vraiment vouloir changer les choses. Je ne suis pas certain que ce soit une de leurs priorités. Cependant, j’ai mis quelques espoirs sur 2013, en me disant "si Marseille doit être une vitrine européenne de la culture, il faudrait quand même qu’un minimum d’événements soient accessibles à tout type de handicap". Cela va peut-être réveiller certaines consciences. Personnellement, je me suis inscrit dans une commission culture qui prépare 2013, pour être justement le poil à gratter, y compris pour d’autres handicaps, pour au moins qu’on pense à distribuer des prospectus en braille, ou mettre un plan incliné si nécessaire. Mais pour l’instant c’est un espoir, je n’ai pas encore vu de réalisations tangibles.
H. - Quelle est pour vous, la ville idéale dont Marseille devrait s’inspirer en matière d’adaptation au handicap visuel ?
JLS. - Je ne sais pas, c’est difficile d’adapter une ville aux déficients visuels. Il faut qu’ils aient des documents en braille ou en gros caractères à l’office du tourisme, dans les gares ou les aéroports, ou alors que des informations soient annoncées oralement. A Montréal, j’ai rencontré une association qui s’appelle "la magnétotèque" et qui a deux axes principaux. L’un, c’est de faire une émission de radio pour pouvoir parler de la déficience visuelle et l’autre c’est de donner des infos à tous les déficients visuels qui ne peuvent pas lire les journaux, les magazines, les romans ou les essais philosophiques. Ainsi, trois cents bénévoles se relaient pour lire et enregistrer les ouvrages sur CD. Par la suite, ces CD sont disponibles à la bibliothèque, à condition que la personne handicapée ait loué un décodeur particulier pour éviter tout piratage. D’ailleurs, j’ai reçu un étudiant qui essaie d’adapter certaines œuvres de façon tactile, pour une exposition d’art contemporain qui aura lieu à Marseille ce mois-ci. Il faut aussi signaler le travail que certaines associations font, pour que certains spectacles soient disponible en audio-description. Cependant, il est regrettable de constater que seulement deux spectacles de La Criée sont en audio-description.
H. - Comment trouvez-vous les locaux de La Criée, pour les déficients visuels ?
JLS. - La dernière fois que je m’y suis rendu, il y avait une rangée de fauteuils adaptés avec une prise pour mettre les casques, pour rendre audible l’audio-description. Si cela pouvait être généralisé à l’Opéra, au Gymnase et au Gyptis ça serait une bonne chose, mais je ne sais pas si c’est possible.
H. - Est-ce une question de coà »t ?
JLS. - Non, je pense qu’on irait chercher les financements, si il y avait une plus grande volonté politique de changer les choses.
H. - Avez-vous des anecdotes à raconter ?
JLS.- A cause du manque de civisme, pour ne pas avoir des déjections canines entre les mains, certaines personnes handicapées ont pris l’habitude d’avoir un chiffon à l’entrée de leur domicile pour essuyer systématiquement leur canne "quitte à l’essuyer pour rien" avant de la replier, pour éviter ce type de désagréments. Dans une rue voisine de notre structure, à plusieurs reprises des trous dans les trottoirs ont été uniquement signalés par des tiges en métal et un petit bandeau en plastique rouge et blanc. Lorsque vous êtes aveugle et que vous passez votre canne entre les deux piquets en métal, vous ne percevez pas la barrière des travaux et vous continuez ; d’autant plus si c’est l’hiver et que vous êtes bien couvert, parce que la petite lanière de plastique rouge et blanche vous ne l’a sentez pas sur votre ventre. C’est ainsi que deux personnes aveugles se sont retrouvées le trottoir jusqu’au niveau du nez, et sont tombées dans le trou. Heureusement, dans les deux cas, il n’y a pas eu de blessure. Mais la frayeur que cela a déclenché sur le moment et l’appréhension de sortir seul après, équivaut à un choc psychologique. Ces personnes ont eu vraiment un effort personnel à faire sur elles-même pour avoir le courage de sortir à nouveau seule. Une autre chose m’horripile, quand je sors avec une personne aveugle dans un bar ou un restaurant, parfois le serveur ne regarde que moi et dit "qu’est-ce qu’elle veut boire la dame". Je lui réponds "elle est aveugle, mais elle n’est pas sourde, demandez-lui ce qu’elle veut boire". On nie parfois la présence de la personne handicapée en s’adressant à la personne valide comme à un intermédiaire, comme si la personne déficiente visuelle avait besoin de traduction. Ça m’énerve, parce que c’est un peu considérer la personne handicapée comme si elle n’existait pas.
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