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Dany passe ou casse

Dany est atteint de la "maladie des os de verre" : ses os sont si fragiles qu’ils peuvent se briser au moindre éternuement.
Pourtant pour lui, comme pour sa mère, Christine, la question de la scolarité en milieu "ordinaire" n’a pas été un choix, mais une évidence. Ensemble ils ont dà » surmonter bon nombre de difficultés. Avec beaucoup de bonne humeur, ils nous évoquent leur parcours...

Dany passe ou casse

Sur son fauteuil électrique, il n"™évoque pas beaucoup le personnage du (très dispensable) film Incassable, interprété par Samuel L. Jackson. La maladie des os de verre, "œostéogenèse imparfaite" , maladie génétique rare qui touche 2000 personnes en France, ne permet pas de développer le physique d"™athlète du célèbre acteur. Dany est de petite taille et son squelette a subi des déformations. Comme beaucoup de personnes atteintes par cette maladie, il a également des problèmes de vue, et souffre de troubles auditifs.
Coupe de viking et t-shirt à l’effigie d’un catcheur, Dany, très à l"™aise, commence : « J’ai pris 19 ans ce mois-ci ». On jette un coup d"™œil étonné à Christine, sa jolie maman : elle a dà » l’avoir très jeune. Souriante, elle nous avait accueillis peu auparavant dans son appartement vaste et lumineux. Des amis à eux étaient en train de s"™en aller, sans pour autant emporter avec eux l"™ambiance chaleureuse.
À la naissance de Dany, Christine doit abandonner son métier pour s’occuper de lui à plein temps. Pas le choix : « soit je m’arrêtais pour m’en occuper, soit on me le confisquait définitivement ». Dany est si fragile qu"™il peut se briser quelque chose juste en sursautant, ou au moindre éternuement. La plupart des kinésithérapeutes refusent de s’occuper de lui. Elle doit apprendre à le manipuler sans lui faire de fracture, mais lui en cause inévitablement. Dany en a subi des centaines (« même plus ! ») au cours de son existence. Plus que les fractures franches, déjà très douloureuses, Dany redoute les micro-fractures, dures à localiser, pour lesquelles l’os mettra plus de temps à se remettre, engendrant souvent une déformation. La douleur est alors extrême, « comme si on perçait ». Il a subi des milliers de radios. Avec quelles conséquences ? Pas de réponse des médecins.
Tandis qu’il parle, Christine couve son fils d’un regard empli de fierté. On hésite à employer un tel lieu commun, mais force est de constater que les souffrances de Dany ont forgé chez lui une maturité véritable. Curieusement, cette maturité se dispute à un caractère bien trempé d’adolescent : il déteste en bloc les films français, l’école et le Conseil Général (« Je peux pas admettre qu’on paye les gens là -bas ! Pas pour ce qu’ils font ! »). Dany est un jeune homme très équilibré, sympathique et drôle. On rira beaucoup lors de cet entretien.
Ils viennent de Normandie. Pour les vacances, ils se rendaient souvent à Marseille, chez la mère de Christine. Elle s’était aperçue que dans cette ville de soleil et de mer, l’asthme de son fils disparaissait et qu’il ne se faisait pas de fracture. Quand elle apprend qu"™un traitement très efficace existe, prodigué uniquement dans des centres à Paris, Lyon et Marseille, le choix est vite fait. Pendant un an, Christine organise le déménagement, cherche appartement et école adaptée, « très dur à trouver ». Mais à leur arrivée, en 2002, c’est la déconvenue : le logement est réquisitionné pour une cause prétendue prioritaire, et l’école avait sous-estimé le handicap de Dany. Le directeur fait immédiatement ordonner les travaux. Mais les problèmes s’accumulent : sous prétexte qu’il ne fait plus de fracture, Dany n’est plus considéré comme handicapé, et on leur retire toutes les allocations. Ils multiplient les démarches auprès des organismes, sans succès. Plus un centime, les voilà presque à la rue, avec, qui plus est, Dany qui a besoin d’une alimentation spéciale. Six mois de galère, « obliger de se dépatouiller » avec la Croix Rouge et autres organismes caritatifs.
C’est alors que des journalistes de l’émission Zone Interdite entrent en contact avec eux. Ils réalisent un reportage sur des enfants atteints de maladie grave, mais actifs tout de même. Ils étaient passés par l’AOI (Association de l’Ostéogenèse Imparfaite) qui leur avait précisé : « Nous on en a un, mais on vous prévient, celui-là , il bouge ! ». Dany, en effet, ne craint rien davantage que l’ennui et déborde d’activités : il aime les sorties, les voyages, apprend le japonais, et pratique même la plongée. Forte tête, rien n’est plus motivant pour lui qu’un avis défavorable des médecins.
Sitôt au courant de la situation de Christine, les journalistes s’emparent du problème et les aident à faire des démarches. Christine est alors invitée à Paris, pour témoigner du sujet sur le plateau de l’émission. Digne, elle n’était pas « venue pour pleurer », mais pour évoquer la maladie de son fils. À la demande des journalistes, elle parle de ses difficultés financières. Émoi dans la France entière : « énormément de soutiens », courrier, aides, invitations... Conscient de sa mauvaise image, le Conseil Général propose un poste à Christine, qu’elle occupe encore actuellement. Quant aux journalistes, ils appellent encore de temps à autre pour prendre des nouvelles.
Depuis l’enfance, Dany, s’il marche un peu, doit porter en permanence un corset. Une opération est possible : elle consisterait à placer une broche télescopique dans la colonne vertébrale. C’est une intervention très lourde et très risquée, le sujet peut se retrouver définitivement paralysé. Christine s’y refuse obstinément. Les circonstances vont décider pour elle : un soir de 2004, Dany rentre de l’école dans un véhicule spécialisé quand une voiture leur coupe la priorité. Collision : il passe par dessus le fauteuil, retombant sur les jambes, qui se brisent, ainsi que le bras, le thorax... Contraint à l’opération, il doit rester immobile pendant un mois. Comme à son habitude, pour Dany « non, ça, c’est pas possible ! » et il sort de l’hôpital, contre l’avis général, au bout d’une semaine.
Cette année, tout doucement, a commencé un travail au Centre Phocéa pour qu’il puisse à nouveau se mettre debout. Depuis quelques semaines, il parvient à se lever pour attraper un objet, ou à opérer seul le transfert dans son lit ou aux toilettes. Le traitement, quant à lui, a porté ses fruits : il ne s’est rien cassé depuis un an. Dany espère reprendre bientôt la plongée, et partir aux États-Unis et au Japon - et tant pis si on lui déconseille l’avion.
Les souffrances physiques qu’il a pu connaître ne l’ont jamais conduit à rester cloîtré chez lui, à l’abri. Il déteste par dessus tout « ne pas bouger, prévoir ». La perspective d’une jambe cassée n’empêche personne de faire du ski, il en va de même pour Dany. Il ne veut pas s’empêcher de vivre « De toute façon j’ai ça, et même si ça fait chier, autant passer dessus et puis voilà  ! ».
Au détour d’une phrase de Christine, on surprend un lapsus : elle parle de sa maladie. Cette maladie au centre de sa vie depuis 19 ans ce mois-ci. Si les projets de voyage de son fils se concrétisent, il lui faudra apprendre un moment à vivre tout simplement.

HandiMarseille - La mixité pour vous, c’est un choix ?
Christine Jourdain - C’était un choix, j’ai décidé qu’il irait jamais en institut, étant donné qu’il a tout sa tête, il n’a pas à aller en institut.
Dany - Quand j’étais petit, je sortais pas beaucoup, mais j’avais quand même deux-trois amis, et pour moi, ça me paraissait normal de continuer avec les autres, d’aller en cours avec les autres. J’aurais pas forcément aimé être dans un centre.

H. - Comment se sont passées vos premières années d’école ?
D. - En Normandie, je suis rentré une année plus tard en maternelle et je suis donc entré au CP à l’âge de 7 ans.
C. J. - C’est son kiné qui m’a obligée à le mettre à l’école, moi je ne voulais pas. On a fait des grandes réunions. La directrice voulait intégrer des enfants handicapés dans son école. C’était une équipe avec laquelle on se connaissait déjà par cœur, puisque c’était les anciennes infirmières de l’hôpital qui s’occupaient déjà de lui. Bref, quand il est arrivé à l’école, la directrice a voulu le connaître et l’a intégré complètement. Il était intégré dans toutes les activités, ils n’hésitaient pas. Les balades en car, tout. Et ça a causé un petit souci, parce que moi, je n’ai pas accepté ! Tous l’avaient trop vite intégré, et moi j’avais du mal à l’accepter. C’était la première fois que Dany me laissait.

H. - N’y avait-il pas de risque pour Dany, dans sa condition, au milieu d’enfants chahuteurs ?
D. - Ils étaient très responsables. Je n’ai jamais eu de problème.
C. J. - Je n’ai jamais eu ce souci envers les enfants. Même quand les enfants courraient dans la cour, instinctivement, quand ils arrivaient près de lui, hop ! Ils freinaient. Ils avaient tout à fait conscience de son état. Il y avait aussi un petit qui était aveugle avec eux... C’était extraordinaire.

H. - Comment se sont passées vos premières années à Marseille ?
C. J. - On est arrivé, Dany avait 10 ans. Il lui restait deux ans de primaire. Dany a été scolarisé à Racati, à côté de St-Charles. Ça devait être adapté, les accès, les toilettes, et tout, et je suis arrivé, il n’y avait rien. L’établissement a quand même accepté de le prendre, je suis tombée sur un directeur très sympa qui a immédiatement adapté les locaux aux besoins de Dany. Sinon, je n’aurais pas cherché à comprendre, c’était le scandale à l’Inspection d’Académie. Le Rectorat était prévenu de l’arrivée d’un élève en fauteuil, ils ont entendu "fauteuil manuel" et la plupart de ces handicapés-là marchent, font leur transfert, se débrouillent... Je leur avais précisé handicap avec "grosse fragilité osseuse". Il n’y avait pas non plus d’auxiliaire d’intégration prévu pour l’aider en cours, pour la prise de notes, dans la cour de l’école, aux toilettes, à la cantine...

H. - Comment se fait-il qu’un établissement dit "adapté" ne dispose pas d’auxiliaire d’intégration ?
C. J. - Trop peu de personnes sont formées, même dans les établissements pratiquants la mixité. L’an dernier, les établissements scolaires manquaient déjà d’auxiliaires, cette année ce sera pire. On est prévenu au dernier moment à la rentrée : « Il y en a, ou pas ». Dans cette école, il y avait bien une prof qui acceptait de s’en occuper... sauf qu’elle était au premier étage, sans ascenseur, et elle refusait de s’installer dans une classe au rez-de-chaussée. "Il a voulu venir dans cette école, il fait comme tous les autres",
D. - Moi je me disais « il me prennent pour un idiot ! ». Dire il a "œvoulu" aller dans une école normale. J’ai pas "œvoulu" aller dans une école, un collège, un lycée normal. C’est juste que je ne voyais pas les choses autrement.
C. J. - Elle n’a pas voulu en faire plus, c’était le premier élève handicapé qu’elle a eu... Il fallait que je me débrouille ? Que je le porte moi-même au premier ? Finalement ils se sont débrouillé entre élèves. Je me disais : « si les enfants tombent dans l’escalier avec le fauteuil... »

H. - Il y avait donc une bonne intégration de Dany parmi les autres enfants ?
C. J. - C’est plutôt chez les parents qu’on sent des hésitations... Il y avait dans cette classe un enfant très perturbé, il mettait le oaà¯. Un mois après son arrivée, il était méconnaissable, un ange. Au début, ils ne voulaient pas qu’il s’approche de Dany, il tapait ou mordait tout le monde. Finalement Dany et lui sont devenus de très bons amis. Il le protégeait ! Il y avait toujours une petite équipe autour de lui qui faisait qu’il était très bien entouré.
D. - J’ai encore quelques amis de cette époque.

H. - Arrive le collège, où il faut changer de salle toutes les heures. Comment ça se passe ?
C. J. - On a cherché un collège adapté, et on a trouvé, aux Chartreux. C’était le plus proche. Sinon il y a un collège juste à coté de chez nous, il n’y a qu’à traverser, mais il n’est pas adapté du tout.
D. - C’est pas logique, d’ailleurs, ce collège il est nouveau, il a été construit en 2005, l’année de la loi sur l’accessibilité ! Je suis passé devant : y’a que des marches ! Ça m’aurait arrangé d’aller là , ça me faisait moins loin, j’aurais eu plus de temps pour dormir !

H. - Et aux Chartreux, pouviez-vous vous y rendre de manière autonome ?
C. J. - Non, c’est un véhicule qui vient le chercher.
D. - Avant ça marchait bien, mais avec la nouvelle compagnie, il y a beaucoup de problèmes. Il n’y avait pas assez de chauffeurs. Cette année, un jour sur deux ils étaient en retard !... Le jour du bac, ils ont oublié de venir me chercher ! J’avais mon oral d’informatique, et j’étais prêt 20 minutes à l’avance. Et j’ai attendu, 7h14, 7h20, 7h30, personne... Finalement ils m’ont appelé pour me dire qu’ils pouvaient me prendre à 8h... et je devais y être à moins dix ! On s’est débrouillé, je suis arrivé à l’heure, avec la voiture.

H. - Quels sont les collèges et lycées adaptés à Marseille ?
D. - En collège, il n’y en a qu’un, après il faut aller en dehors de Marseille. Et sinon en lycée il y a Marie Curie et à St Charles. J’ai passé les épreuves du bac à Victor Hugo, et Victor Hugo, c’est pas accessible ! On m’a aménagé une petite salle au rez de chaussée, j’étais le seul. Je l’ai obtenu avec une moyenne de 11,5.

H. - Il n’y avait personne d’autre que vous dans votre cas ?
D. - Je ne suis pas le seul dans ce cas, mais je suis un des rares à passer le bac avec les autres. C’est à dire que, soit ils le font chez eux, soit dans des salles spéciales, mais pas dans des lycées. C’est le cas pour ceux qui ne sont pas scolarisés normalement. Moi je l’ai fait à Victor Hugo, parce que moi... je bouge. Mais j’étais le seul. À Victor Hugo il n’y avait aucune personne en fauteuil qui a passé le bac, à St Charles non plus, ni Marie Curie, d’après ce que j’ai entendu.

H. - Quel bac avez-vous fait ?
D. - Le bac STG, Science Technologie et Gestion à St Charles. On m’a "dégagé" de Science Économique et Sociale. Comme j’ai eu des problèmes de santé, j’ai loupé un mois. Et comme j’avais pas forcément de super notes et qu’il sont pas spécialement cool, ils m’ont dit qu’ils acceptent pas les élèves qui vont pas réussir au bac : « Nous, on veut la réussite ». Donc il m’ont dit « le mieux si tu veux avoir un bac, c’est de faire les STG ». Mais j’en avais une mauvaise image : classe de glandeurs, les mecs qui foutent rien de l’année, qui viennent pour se reposer. Mais c’est pas vrai. Quand je vois le boulot qu’on a eu pendant deux ans...

H - Ça mène à quel type de métier, vous vous destinez à quoi ?
D. - Si j’y arrive, développeur informatique. Faire des logiciels... Ou dans le réseau pour les entreprises, les associations. Mais j’aime pas le réseau. En plus j’ai des mauvaises notes !

H. - Et donc, vous aviez beaucoup de travail ?
D. - Non, je ne travaillais pas beaucoup, presque pas du tout à la maison. Déjà parce que j’aime pas ça. Par contre, c’est beaucoup de connaissances à assimiler. On fait du droit , de l’économie comme en ES, et derrière on a nos spécialités : 4 heures pour l’informatique des réseaux, et 4 heures pour le développement, ça fait huit heures d’informatique par semaine en terminale. C’est énorme ! Ça fait des semaines à plus de 30 heures, quoi.

H. - Et ce sera quoi en BTS ?
D. - En BTS ce sera le double. Ce sera deux ans à Marie Curie, et ensuite je dois trouver un établissement pour faire la licence pro.

H. - Marie Curie est adapté, donc ?
D. - Oui, il y a au moins cinq ascenseurs, tous les bâtiments sont accessibles.
C. J. - Et chaque élève a son auxiliaire d’intégration.

H. - Cet auxiliaire, est-ce toujours la même personne qui vous suit ?
D. - Ça fait 5 ans que c’est le même auxiliaire.

H. - Ce n’est pas une personne liée à l’établissement ?
C. J. - Ah non, c’est une personne extérieure, payée par le Conseil Général. On a de la chance d’avoir la même personne depuis 5 ans, et c’est normalement sa dernière année. Mais en principe c’est interdit. Tous les ans, on doit changer d’auxiliaire.

H. - Pourquoi ça ?
D. - Parce qu’il ne faut pas s’attacher. Il ne faut pas qu’un enfant devienne ami avec un auxiliaire. Mais, comme je l’ai expliqué à l’époque à l’Inspecteur de l’Académie, au bout d’un mois on était ami ! C’est pas possible quand on traîne 8 heures par jour avec une personne. Soit on la déteste et ça ne marche pas au bout d’une semaine, soit on devient intime !

H. - Quel âge a cette personne ?
D. - 26 ans.

H. - Il a donc commencé jeune, à 21 ans.
C. J. - Ils se voient même en dehors de l’école. Le week-end il le prend, il sort avec lui, ils vont au cinéma... Je lui passe la voiture et ils vont faire des trucs.
D. - Oui c’est un ami. C’est pas juste un auxiliaire.

H. - Il travaille avec d’autres personnes que vous ?
D. - Non, juste avec moi.

H. - Et à quoi se destine cette personne ?
D. - Je pense qu’il veut travailler dans le social. Au début, c’était un petit boulot pour lui, il m’avait dit « l’année prochaine je suis plus là ». Et finalement il est resté un an, puis deux, et aujourd’hui ça fait 5 ans. À présent, il aimerait suivre jusqu’au bout ma scolarité pour les trois ans qui restent, et après il change de voie. Mais on ne sait pas si ça va être possible. Sinon il continue à étudier en même temps, et il fait des petits boulots le soir. Il est videur au stade et au Dôme. Mais en tout cas, il ne compte pas rester auxiliaire après ces trois ans. Ça lui plaît, mais il n’est pas sà »r de retrouver une personne avec laquelle il s’entende.

H. - Quel est le rôle de l’auxiliaire ? Ce n’est pas lui qui vous conduit à l’école ?
D. - Non, même si des fois il vient le matin à la maison et prend le transport avec moi pour aller au lycée.

H. - Il reste tout le temps avec vous au lycée ? Même en salle de classe ?
D. - Pas tout le temps. Parce que moi ça me dérange, et lui ça ne l’arrange pas non plus. Alors il reste dans le lycée, il lit beaucoup, il va au CDI. Il profite du temps libre pour étudier.
C. J. - Normalement il doit rester avec lui en cours. Normalement c’est obligatoire.
D. - Surtout que la proviseur du lycée St Charles est à cheval sur les règles. Donc on se fait souvent remonter les bretelles. Parce que je ne fais pas ce que devrait faire dans sa conception - dans la conception de tout le monde - la personne handicapée avec son auxiliaire.

H. - Pour quelles actions avez-vous besoin de lui ?
D. - Pour aller aux toilettes par exemple. Il me porte le plateau à la cantine (mais ça m’étonnerait que j’y mange cette année). Si j’ai besoin de sortir en dehors du lycée...
C. J. - Et surtout, normalement il doit lui prendre ses notes. Quand il est fatigué ou absent.
D. - Et même quand je suis en forme, il est censé me les prendre, on me l’a dit. Mais comme j’ai expliqué, moi, si on me prend mes notes, je n’ai pas besoin d’aller en cours. Je vais m’ennuyer. Deux heures à écouter, si je ne prends pas de notes, je m’ennuie vite. Et j’apprendrais moins si je ne prends pas mes notes moi-même. Et puis je préfère. J’ai pratiqué comme ça avec tous mes auxiliaires. C’est moi qui prends mes notes, c’est moi qui fait mes contrôles. Je suis assez autonome pour le faire, je prends ce qui me revient, pour moi c’est normal. Je peux écrire, j’écris, je peux parler, je parle, je peux écouter, j’écoute...
C. J. - Il y a déjà pas mal de chose qu’il ne peut pas faire, alors si on diminue son autonomie... J’exige qu’il ait son autonomie.
D. - Pour eux, je suis handicapé alors je peux pas écrire, pas parler, pas réfléchir... C’est limite un scandale que j’aille au lycée !

H. - Vous vous considérez comme un handicapé ?
D. - Pour n’importe quel passant dans la rue, je le suis. Pour moi non. Enfin, bien sà »r, j’ai le fauteuil. Mais sinon... C’est plus les regards et les paroles qui me font chier.

H. - Des paroles ?
D. - Ben... Quand un prof fait comprendre qu’il s’étonne. « Tiens vous êtes en fauteuil, mais d’habitude une personne en fauteuil ça prend pas les notes... » ou bien : « C’est la première fois que je vois un handicapé faire des études... » Enfin ça me fait sourire.

H. - Quels sont vos rapports avec les profs ?
D. - Au collège ça se passait bien. Après, au lycée, je suis pas forcément tombé sur des profs sympas. Enfin, ils sont pas sympas avec tout le monde, donc c’est équitable.
C. J. - Mais il y a aussi des profs qui viennent le voir à l’hôpital, qui lui amènent des livres... Et moi dès le début de l’année, je fais une réunion avec ses profs pour leur expliquer que ce n’est pas parce qu’il est handicapé qu’il faut le ménager. Certains auraient tendance à trop protéger.

H. - Plus jeune, n’avez-vous jamais tiré parti de votre handicap pour tirer un peu au flanc ? En surjouant la fatigue...
D. - Sà »rement au collège ! Mais pas au lycée, je n’en ai pas eu l’occasion. Avec toutes ces opérations, j’avais beaucoup à rattraper. J’avais plutôt intérêt à bosser. Mais au collège ça a dà » arriver.
C. J. - (rires) Oh oui c’est sà »r que c’est arrivé ! Et plus d’une fois !
D. - J’avais 12-13 ans... Qui n’a jamais triché ? « J’ai mal à la tête, j’ai mal au ventre... » Je fais les mêmes conneries que tout le monde, si c’est pas pire !

H. - Vous pensez au futur ? Au monde de l’entreprise ?
D. - Oui j’y pense, mais... Je ne me fais pas d’illusion. Déjà quand j’ai été déposer quelques dizaines de lettres pour trouver un petit boulot pour cet été, vu la réaction des gens quand j’amène la lettre... Il sont choqués, ou étonnés : « Ah bon ? Ah tu cherches un boulot ?... » Limite ils pensent à une blague.

H. - Et comment se sont passés les stages ?
D. - Les seuls stages que j’ai trouvé c’est au travail de ma mère. Ça me gonfle. Et puis les grandes sociétés n’ont pas envie d’intégrer les personnes handicapées. Elles préfèrent payer. Pour eux, c’est la solution de facilité.

H. - Vous avez passé des entretiens, quand même ?
D. - Non, aucun, on ne m’a jamais répondu. Je suis allé en personne porter mes candidatures. Je leur expliquais mon état et ce dont j’étais capable. Je n’ai eu aucune réponse. J’aurai préféré qu’on me dise non. Quand j’allais porter mes C.V. , je voyais les mecs sourire 30 secondes avant à l’un de leurs clients, et me tirer la gueule. Ça fait peur ; c’est pas beau, c’est pas attirant. Pour les magasins, ça vend pas. Voilà . Ce ne sont pas les refus qui me dérangent. C’est que je n’ai eu que des refus. Sur les trente lettres que j’ai envoyées, je n’ai eu aucune réponse.

H. - Votre mère s’est beaucoup battue apparemment mais vous-même avez-vous eu des combats à mener à l’école ou finalement les choses se sont passées naturellement ?
D. - Si on m’impose une interdiction parce que je suis en fauteuil, je ne vais pas l’apprécier. Si c’est pour autre chose, ça va.

Propos recueillis par Emmanuel Ducassou


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