Lourdement handicapé et âgé, où aller ?
Les foyers d’accueil médicalisé, une réponse adaptée
Depuis 2005, Patrick Perin dirige le Foyer d’accueil médicalisé Les Tilleuls situé à Bouc-Bel-Air, qui accueille les personnes âgées en situation de handicap mental. Un modèle à découvrir et à suivre...
Handimarseille : Est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Patrick Perin : Je me présente Patrick Perin, directeur des établissements d’hébergement de Bouc-Bel-Air gérés par La Chrysalide Marseille, association de parents et amis de personnes handicapées mentales.
Sur le site de Bouc-Bel-Air, se trouve un foyer de vie qui accueille 32 personnes, hommes et femmes, qui n’ont pas la capacité d’exercer une activité professionnelle, un foyer d’accueil médicalisé qui accueille 24 personnes, hommes et femmes, de plus de 50 ans. Le Foyer Les Acacias est composé d’un foyer sur la commune de Gardanne, où sont logées 28 personnes, et d’un foyer sur la commune d’Aix - Les Milles, pour 18 personnes, hommes et femmes. Les personnes accueillies en foyer d’hébergement exercent une activité professionnelle à l’ESAT Les Ormeaux, qui est lui-même dans l’enceinte du site de Bouc-Bel-Air.
H : Quel est l’objectif d’un Foyer d’accueil médicalisé ?
P.P : Il répond à un besoin constaté depuis plusieurs années : les établissements prévus pour les personnes handicapées ont vraiment vu leur essor dans les années 75-80, donc ça a permis d’accueillir des gens qui avaient entre 20 et 30 ans, un public assez jeune. Au fil du temps, les statistiques d’études de population ont montré que ces publics vieillissaient, l’espérance de vie a considérablement évolué en 20-30 ans, donc il est fréquent aujourd’hui d’accueillir des personnes qui ont plus de 60 ans dans les établissements spécialisés. Au début des années 2000, les préoccupations ont été de savoir comment accueillir des personnes qui allaient vieillir, donc c’est sur ce constat, que les projets se sont développés.
Le Foyer d’accueil médicalisé (FAM) est une réponse à ce constat, il s’agissait d’accompagner les personnes vieillissantes avec un besoin de prise en charge médicale. Dans les établissements d’hébergement, tels que les foyers de vie ou foyer d’hébergement, nous observons une part d’accompagnement à la vie sociale, à la vie quotidienne, mais la part de santé n’est pas prépondérante. Le FAM offre cet avantage de prise en compte de la santé, puisque nous avons vraiment une équipe paramédicale pour accompagner les personnes. Le FAM Les Tilleuls accueille des personnes vieillissantes, avec un accueil à partir 50 ans et une organisation d’accompagnements à la fois sur la vie sociale et sur le soin.
H : Comment se fait le travail de vos équipes pluridisciplinaires face à ce nouveau public ?
P.P : Les personnes vieillissantes sont atteintes des mêmes troubles que le public ordinaire et cela s’ajoute à leur handicap ; les établissements mettent en place des dispositifs d’accompagnement spécifiques. Les équipes pluridisciplinaires ne se résument pas au personnel de l’établissement, on peut faire appel par convention à des organismes publics, hôpital, centre gérontologique...
Ici nous travaillons avec par exemple avec la Maison des soins palliatifs de Gardanne qui dispose d’une équipe mobile technique, ce qui fait que lorsque nous avons des situations de soins particuliers, nous pouvons les solliciter pour nous aider à les résoudre. Cela nous permet de pouvoir accueillir nos résidents le plus longtemps possible. Notre objectif est de pouvoir faire en sorte que ce soit une forme de domicile pour les résidents, nous organisons les dispositifs d’accompagnements médicaux sur la notion de domicile.
H : Quelle est la charte de ce FAM ?
P.P : La loi du 2 janvier 2002 a instauré une Charte des Droits et libertés de la personne handicapée. L’établissement a une mission d’accueil et d’accompagnement des personnes hébergées. Le projet d’établissement précise les objectifs, les moyens, les conditions d’accueil, et d’accompagnement. L’ensemble des prestations visent à l’épanouissement et au bien-être de chaque personne accueillie. En outre, nous passons des conventions avec divers organismes, pour la santé, mais également pour les animations culturelles.
H : Le public qui y est présent, est-il celui qui a fréquenté les différentes structures de La Chrysalide ?
P.P : Tout à fait. Sur les 24 personnes, la majorité a fréquenté auparavant un foyer d’hébergement ou un foyer de vie. Initialement, nous avions fait le constat que les personnes accueillies en foyer d’hébergement ou en foyer de vie vieillissaient, c’était donc la réponse aux problèmes que l’on rencontrait dans les établissements classiques.
H : Quel a été votre parcours avant de devenir directeur des Tilleuls ?
P.P : Mon parcours est assez classique. J’ai une formation d’éducateur spécialisé, j’ai démarré à 19-20 ans dans cette profession-là. J’ai travaillé dans divers établissements pour personnes handicapées, en occupant une fonction d’éducateur. J’ai travaillé comme chef de service à partir de l’âge de 35 ans en Touraine et dans les Alpes-Maritimes, puis directeur adjoint ici sur ce site en 2000, avant de prendre des fonctions de directeur en 2005.
Un parcours qui s’est fait toujours dans le milieu du handicap avec un public déficient intellectuel. Je me suis senti à l’aise dans ce type d’accompagnement mais ce sont également les hasards de la vie qui nous conduisent. Je pense qu’il y a de la richesse dans cette profession, l’intérêt réside aussi dans les projets d’accompagnement à la vie sociale, à la sécurité, aux soins qui font que l’on reste dans ce secteur.
H : Est-ce qu’il y a un évènement particulier qui vous a marqué au cours de votre carrière ?
P.P : Non, pas particulier, c’est un ensemble, je me souviens bien de ce que l’on faisait mais l’intérêt, c’était quand même d’avoir des projets, d’accompagner les personnes qui progressaient grâce à nous, peut-être, et que l’on a une satisfaction personnelle de voir un peu ce que l’on apporte aux autres dans l’aide. Il ne faut jamais oublier que ce n’est pas à sens unique, c’est aussi en réciprocité, parce qu’accompagner quelqu’un qui réussit, apporte aussi le retour de sa réussite.
Il ne faut pas simplement dire : « je fais ça parce que j’aime l’autre, je lui donne quelque chose », mais « je fais ça aussi parce que je retrouve quelque chose de l’autre dans sa réussite, je suis aussi responsable ou garant de sa réussite », et cela nous nourrit également. Il y a une forme d’échange en quelque sorte, j’aide l’autre à réussir et je suis remercié par la réussite qu’il a obtenue. Voilà un peu ce qui va se construire, inconsciemment peut être.
H : C’est important qu’il y ait des projets qui s’imbriquent les uns aux autres ?
P.P : C’est important à deux niveaux. Un projet va améliorer le cadre de vie des personnes accueillies, quand on parle de projet, il est souvent adossé à une perspective d’architecture. Globalement, il y a 10 ans encore, le foyer d’hébergement accueillait 65 personnes qui vivaient dans ce bâtiment, à la campagne, d’où une difficulté à développer une vie sociale... Le premier projet fut de réfléchir à une intégration sociale.
En étant sur Gardanne, les résidents découvrent qu’ils ont une capacité à vivre dans un espace ordinaire. Aujourd’hui, 28 personnes vivent à Gardanne et peuvent aller faire leurs courses elles-mêmes en ville. Nous avons amélioré les conditions d’hébergement, avec des chambres plus spacieuses, individuelles avec salle de bains, des unités de vie restreintes à 8 ou 10 personnes pour limiter les contraintes du collectif. C’est important que les personnes perçoivent une évolution dans leur vie quotidienne. Le discours des animateurs est porteur d’avenir : aujourd’hui, tu vis dans l’établissement, mais il y a des opportunités d’évolution, en apprenant, en découvrant les capacités sociales.
Ce sont nos ambitions de vie, ce que nous développons avec les résidents ne s’éloigne de ce que chaque citoyen peut espérer. L’objectif des éducateurs, c’est de faire cette démarche, d’accompagner les personnes vers un avenir, en les soutenant dans un projet personnel.
H : Comment est financé le foyer ?
P.P : Un foyer d’accueil médicalisé dispose de deux financements précis. D’une part, l’aide sociale départementale finance par prix de journée les besoins de fonctionnement de l’établissement, d’autre part, l’assurance maladie, finance ce qui relève du soin sous forme d’une dotation globale.
H : Qu’est-ce qui est le plus difficile à gérer pour vous ?
P.P : La gestion des ressources humaines est compliquée, c’est vraiment un domaine assez sensible, parce que d’une part, nous avons des personnes accueillies et d’autre part, nous avons un ensemble de personnels qui vient avec des attentes personnelles, donc c’est un enjeu assez fort.
H : Selon vous, quelles améliorations pourraient être apportées pour faciliter le quotidien d’une personne âgée en situation de handicap ?
P.P : J’oserais dire qu’ici au FAM Les Tilleuls, nous avons anticipé les besoins et les attentes des personnes accueillies. Il faut avoir à l’esprit qu’il est essentiel de bien évaluer les besoins des personnes, améliorer le quotidien d’une personne ça ne peut pas se discuter simplement du point de vue des professionnels ; le premier point, c’est un diagnostic de chaque personne accueillie, faire un constat, l’écouter, l’observer, la comprendre en quelque sorte, synthétiser ces besoins pour savoir comment améliorer son cadre de vie. Mais tout cela a des limites, car nous sommes quand même dans un espace collectif, où tout ne peut pas se faire.
H : La solitude et la précarité sont des moments que redoutent bon nombre de retraités, pensez-vous que cela soit le cas pour une personne en situation de handicap ?
P.P : La solitude est certainement le point le plus difficile à appréhender. Quand on parle avec les personnes accueillies, les premiers points qui leur semblent essentiels à surmonter, ce sont des problèmes d’ordre organisationnel : savoir faire à manger, ranger la chambre, faire le ménage, savoir faire ses courses... Par expérience, c’est toujours plus facile de résoudre ces problèmes-là, plutôt que le problème de la solitude qui est l’incontournable.
H : Si vous aviez un message à faire passer aux lecteurs d’Handimarseille, ce serait lequel ?
P.P : Ne jamais désespérer des compétences qu’une personne en situation de handicap peut développer. Je pense qu’il faut avoir à l’esprit que les personnes que l’on accompagne, ont des ressources insoupçonnées et c’est bien les conditions de vie dans lesquelles on les met, qui vont favoriser cette émergence ou non.
Propos recueillis par Yoann Mattei
Voir en ligne : FAM Les Tilleuls
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