Cap emploi : Tenir bon !
Le rôle et les missions de Cap emploi Heda présentés par Gilles Truchi, coordinateur du site de Marseille. Panorama des actions de formations, public concerné, enjeux et mutations. Comment le réseau Cap emploi s’adapte aux évolutions, particulièrement sur le chapitre des financements, à l’heure même où ceux assurés « 100% Agefiph » se voient relégués au rayon des souvenirs...
Handimarseille : Pouvez-vous commencer par vous présenter ?
G.T : Je m’appelle Gilles Truchi. Je coordonne Cap emploi pour le territoire de Marseille pour l’association HEDA, qui porte à la fois Cap emploi au niveau du département, et le SAMETH [1], le service qui s’occupe du maintien en emploi des travailleurs handicapés. L’association HEDA a également un service de conseil qui aide les entreprises à mener leur politique de ressources humaines à l’encontre des travailleurs handicapés. Je coordonne ce site qui a été ouvert en février 2008.
H : Pouvez-vous nous dire ce qu’est Cap emploi HEDA ?
G.T : Cap emploi c’est un label qui nous a été attribué par l’État et nos financeurs. Ce label concerne cent sept associations, qui ont un cahier des charges commun. Elles ont pour mission de favoriser l’insertion des travailleurs handicapés en milieu ordinaire. Sur notre site, l’équipe est composée de quinze chargés de mission et d’assistants administratifs soit environ vingt-cinq personnes. L’objectif des chargés de mission est d’accompagner nos bénéficiaires, d’émettre un diagnostic sur leur projet professionnel, puisque les personnes que l’on reçoit sont en grande majorité en reconversion professionnelle. Le travail de reconversion peut être relativement long, avec la nécessité d’une période de formation pour mobiliser de nouvelles compétences, pour permettre aux gens de rebondir sur une autre activité, tout en tenant compte évidemment des spécificités et contre-indications médicales.
H : Quel type de public recevez-vous et dans quel cadre ?
G.T : L’offre de service de Cap emploi est ouverte aux personnes bénéficiaires de la loi d’obligation d’emploi des travailleurs handicapés, c’est-à-dire aux personnes ayant une reconnaissance en qualité de travailleurs handicapés, aux bénéficiaires de pension d’invalidité, d’accidentés du travail, aux bénéficiaires de l’AAH, et des personnes ayant une carte d’invalidité. Les entreprises de plus de vingt salariés doivent embaucher 6% de travailleurs handicapés ou en tout cas de bénéficiaires de cette loi. Les personnes que nous recevons en général nous sont adressées par Pôle emploi dont on est co-traitant ou la Mission locale, voire l’Apec. Pour l’année 2010, sur le département, on a deux mille cinq cents personnes qui relèvent de ces conventions.
On peut aussi recevoir des personnes qui ne sont pas inscrites au Pôle emploi à condition qu’elles soient motivées et bénéficiaires de la loi. À ce moment-là, on les assiste en fonction de nos possibilités puisqu’on gère des volumes assez considérables. Notre mission, c’est d’accompagner le maximum de personnes. On a ouvert à Marseille avec zéro dossier en février 2008. À la fin de l’année on avait reçu deux mille cinq cents personnes.
H : Est-ce que la personne handicapée peut bénéficier d’un accompagnement à Cap emploi pendant plusieurs années ?
G.T : Oui, tous les bénéficiaires de la loi, en fonction de leur statut peuvent bénéficier d’un accompagnement qui est plus ou moins serré. HEDA a ouvert en 1996 à Aix. C’est une association aixoise qui s’est étendue.
Certaines personnes ont un dossier à Aix depuis l’origine. Le suivi par HEDA peut se faire sur plusieurs années. En général, les personnes sont suivies au titre de la co-traitance pour une durée de trente mois. Au-delà de ce seuil, on continue à les suivre, même si elles sont accompagnées par une autre structure. Ainsi, les chargés de missions ont en général deux cents personnes en file active. Certaines personnes en formation, on ne les voit pas pendant des mois, parce que nous consacrons davantage de temps aux personnes qui sont en recherche active d’emploi. De plus, nous sommes des généralistes du handicap. La plupart des actions sont déléguées à des structures partenaires spécialisées puisque certaines pathologies nécessitent des accompagnements spécifiques.
On peut diriger certaines personnes handicapées vers des structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) ou les équipes mobiles d’ouvriers professionnels (EMOP) qui sont financées par l’AGEFIPH [2]. Ces organismes travaillent avec les personnes au quotidien, ce que l’on ne peut pas faire.
H : Notre dossier du mois traite de la formation des personnes handicapés. Pouvez-vous nous en définir les enjeux majeurs ?
G.T : La formation est un passage souvent nécessaire, mais elle n’est pas toujours obligatoire. Ce n’est qu’une étape de la reconversion et du projet professionnel. Les personnes qui arrivent chez nous sont en reconversion professionnelle. On les aide à trouver les compétences transférables, par rapport à leur parcours afin de trouver un autre emploi.
Bien souvent les personnes arrivent en disant « je veux faire une formation ». Par conséquent, nous les accompagnons sur le montage technique du dossier, parce que dans ce domaine les possibilités de financement sont difficiles à obtenir et sont de plus en plus complexes.
La majorité des personnes que l’on reçoit a une moyenne d’âge de quarante-sept ans et un passé professionnel. Elles n’ont pas nécessairement besoin de longues formations puisque elles ont déjà travaillé. D’autant plus que certaines reconversions sont plus simples que d’autres. Ce n’est pas toujours raisonnable de changer complètement de métier.
H : Comment expliquer que les personnes aient une moyenne d’âge autour de quarante-sept ans ? Suivez-vous des jeunes personnes ?
G.T : Oui, on a 4% de jeunes de moins de vingt-six ans, qui relèvent de la Mission locale. Mais la grande majorité de notre public est victime de l’usure du travail, ce sont des personnes qui ont des problèmes de motricité, notamment des problèmes de dos. On peut être travailleur handicapé parce qu’on a une hernie discale, et qu’on ne peut plus soulever de poids. En tant que déménageur, on est licencié parce qu’on ne peut plus occuper ce poste et qu’il faut trouver une reconversion. C’est la raison pour laquelle les personnes que l’on suit ont globalement un âge au-delà de quarante ans. Quant aux jeunes que l’on reçoit, ce sont soit des accidentés, soit des personnes atteintes de maladies de naissance. En général, ce sont des situations assez lourdes.
H : Que pensez-vous de la loi de février 2005, a-t-elle amené des évolutions en terme d’accès à la formation ?
G.T : Sur la formation elle n’a pas changé grand-chose. Désormais, avec la mise en place de la prestation de compensation du handicap, la célèbre PCH, les personnes handicapées peuvent obtenir des revenus ou des aides supplémentaires pour vivre et se déplacer. On prend davantage en compte la personne dans sa globalité qu’auparavant. D’ailleurs, avant la loi de 2005, on disait travailleurs handicapés, puisque le dispositif s’adressait aux travailleurs handicapés. Depuis 2005, on parle de personnes handicapées parce qu’on est au-delà du concept de travailleur handicapé.
H : Selon vous, qu’est-ce qui pourrait faire avancer les choses au niveau de la formation et des possibilités de financement ?
G.T : À côté des formations de droit commun comme celles dispensées par l’AFPA, il existe des formations spécifiques réservées, entre guillemets, aux personnes bénéficiaires de la loi d’obligation d’emploi. Je pense notamment aux CRP [3], qui n’accueillent que des personnes orientées par la MDPH [4], et par la CDAPH [5]. Les CRP sont organisées de telle façon qu’elles valident des formations diplômantes conformes au droit du travail. Tout y est fait pour aider les personnes handicapées en prenant en compte leurs spécificités.
Par ailleurs, en 2009 l’Agefiph a décidé d’augmenter de deux cents millions d’euros le budget alloué aux travailleurs handicapés pour une période qui devait s’étendre jusqu’à 2011. Ce plan de soutien était destiné à pallier les problèmes de la crise économique. Malheureusement tout cela a été rapidement consommé puisque le budget qui était alloué à ce plan de soutien a été épuisé au 1er juillet 2010. Auparavant, on avait la possibilité de faire des demandes à l’Agefiph, qui pouvait financer des formations à 100%. J’en parle au passé
parce que depuis le 1er juillet, l’Agefiph est revenue sur sa façon de financer ses volets de formation, pour des problèmes de budget.
Depuis quelques semaines, on a changé notre façon de fonctionner. L’Agefiph est devenue un co-financeur. Il faut donc trouver d’autres modes de financement pour les personnes handicapées. L’Agefiph intervient exceptionnellement à 100% sur des financements. Le financement des formations est plus difficile. Le financement en urgence n’existe plus. Cela permet d’éviter des erreurs d’aiguillages. On s’assure davantage de la pertinence des projets.
H : Auront-ils les moyens de rallonger l’enveloppe ?
G.T : Je l’ignore, ces mesures ont été soudaines. On s’est retrouvé en difficulté avec des personnes et des entreprises auxquelles on avait appliqué les textes en vigueur. Finalement, on les revoit pour trouver d’autres modes de financement.
H : Auprès de qui ?
G.T : Tout dépend du statut de la personne. On peut notamment s’adresser au Conseil général ou à la Mission locale.
H : Existe-t-il des fondations privées ?
G.T : Elles sont nombreuses mais on les a très peu utilisées jusque-là, puisqu’on n’avait pas de soucis. On a eu recours à une grosse entreprise qui nous a financé notamment du matériel informatique et des aides au transport pour les personnes handicapées en formation. Mais on n’y a pas eu recours systématiquement. Désormais, on va le faire.
Par ailleurs, on essaie de chercher auprès des différents partenaires pour effectuer des montages, comme les OPCA, les organismes paritaires collecteurs agréés qui collectent les contributions financières des entreprises qui servent notamment au financement de formation. De plus, nous pouvons proposer aux personnes en emploi le dispositif DIF, le Droit individuel à la formation basé sur les heures accumulées par les personnes. Dans le cadre de l’intérim, des opportunités existent. Enfin, on peut proposer aux entreprises des contrats en alternance destinés aux personnes handicapées mais souvent les entreprises y sont réticentes. Sur ce type de contrats les aides attribuées à ces dernières sont plus faibles.
Toutefois comme la région a des moyens limités, on va tout de même essayer de développer l’alternance classique, les contrats de professionnalisation ou même les contrats d’apprentissage. Puisque ces dispositifs, contrairement au public valide, sont ouverts au public handicapé sans limite d’âge. Avec des petites formations, comme le CIPI [6], ou le CDPI [7], les contrats de professionnalisation qui se font par le biais de l’intérim, les personnes handicapées acquièrent de l’expérience professionnelle en plus de la formation.
H : Quels sont les délais pour monter un dossier ?
G.T : Aujourd’hui, on a mis en place des commissions internes pour être plus en cohérence avec ce que nous demande l’Agefiph. Après avoir épuisé les opportunités de formation dans le droit commun, on monte les dossiers en fonction des nouveaux critères de notre financeur. Cela va de la prime à l’insertion, pour les personnes qui trouvent du travail, à la prothèse auditive, en passant par l’aménagement des véhicules, voire l’aménagement du poste de travail. C’est au niveau du PRF, le plan régional de formation, que la région gère la majeure partie des formations avec ses cent soixante-dix commissions qui s’étalent sur des mois. En cas de refus, on sollicite parfois l’Agefiph sans avoir la certitude que le dossier sera accepté.
Malheureusement en interne, on constate une forte diminution du nombre de demandes de dossiers de formation. On est sur une étape complètement transitoire.
H : Ça signifie que les accompagnateurs à l’emploi doivent de plus en plus se spécialiser dans le montage des financements ?
G.T : Nous sommes des généralistes. Désormais, nous devrons être très pointus sur la formation. Mais ce n’est pas le cas de tout le personnel puisque bon nombre d’entre eux sont arrivés au moment où les modes de financement étaient plus faciles.
Par ailleurs, on n’a peu de visibilité sur nos partenaires qui prennent de nouvelles mesures. Le monde de la formation évolue très vite. En ce moment,
l’Afpa et Pôle emploi se réorganisent. La Région doit faire de même. Je vais rencontrer Pôle emploi et l’Afpa afin de savoir comment s’effectue la prescription des formations.
Enfin, il n’y a pas de solution miracle, mais l’idéal serait qu’il y ait plus de places en CRP. Nous avons la chance d’avoir quatre CRP dans le département, alors que certains en sont dépourvus. L’offre de CRP est nationale, et l’attente sur ces formations est de deux à trois ans, ce qui est difficilement gérable.
H : Travaillez-vous avec d’autres organismes de formation en dehors de ceux que vous venez de citer ?
G.T : Non, l’offre de formation est complètement balisée. Pour les petites formations comme la bureautique, on s’adresse à des structures qui accueillent correctement les travailleurs handicapés.
H : Au niveau de l’accessibilité, est-ce que les organismes de formation ont des structures et des dispositifs qui permettent d’accueillir les travailleurs handicapés ?
G.T : Nous avons très peu besoin d’aménagements spécifiques.
Concernant les personnes que nous suivons, nous n’avons qu’une salariée en fauteuil. Il est à noter que 80% des travailleurs handicapés ont des pathologies qui sont invisibles et n’ont pas forcément besoin d’aménagements spécifiques. Même si certains ont besoin de fauteuils aménagés, d’écrans spécifiques, ou d’aides à la communication.
Mais il est vrai qu’on est loin d’être en conformité avec les normes de la loi de 2005. Les organismes de formation sont très peu conformes dans la région. Nous, nous avons la possibilité de choisir nos partenaires, notamment ceux qui favorisent l’accessibilité de leurs locaux. Cependant, dans leurs exigences au niveau des appels d’offre, les donneurs d’ordres, que ce soit la Région ou Pôle emploi n’en tiennent pas compte, ce qui se comprend. Toutefois, afin de faciliter la vie des gens j’aimerais que cette exigence soit prise en compte, puisqu’on doit pouvoir accueillir des personnes handicapées notamment en cas de problème de mobilité ou autres, comme le stipule la loi.
H : Au sortir de la formation, quels sont les résultats en termes d’accès à l’emploi ?
G.T : Les personnes handicapées ont des résultats peut-être meilleurs que les personnes valides. En général, on cerne les contre-indications médicales et on oriente les projets qui leur sont accessibles. Ce qui est souvent le plus insurmontable, c’est que les personnes que l’on reçoit avaient
un métier qu’elles ne peuvent plus exercer et sont obligées de tout réapprendre. De plus, à 85% elles ont un niveau CAP obtenu il y a trente ans. En conséquence, en terme de qualification elles ont un très bas niveau. Par ailleurs, c’est difficile à cinquante ans de se remettre à des études alors qu’on n’a pas forcément les bagages minimums. Par exemple, nous n’avons pas de réponse pour un ouvrier qui a été serriste à Berre, pendant trente ans, qui ne parle pas forcément français, et qui est plié en deux.
Tout le monde ne pourra pas trouver la structure ou le dispositif qui lui permettrait d’avancer. Globalement les personnes qui suivent une formation en sortent avec des possibilités évidemment supérieures et trouvent du travail. L’Agefiph et le FIPHFP [8], nos deux financeurs, nous imposent évidemment des objectifs dont le principal est l’emploi. Cette année on doit placer mille quatre cent quatre-vingts personnes, obtenir mille quatre cent quatre-vingts contrats de travail !
Notes
[1] Service d’aide au maintien en emploi des travailleurs handicapés
[2] Association chargée de gérer les fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées
[3] La convention de reclassement personnalisé
[4] Maison départementale des personnes handicapées
[5] La Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées
[6] Le contrat d’insertion professionnelle intérimaire
[7] Contrat de développement professionnel intérimaire
[8] Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique
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